Le schisme littéraire des témoignages de la Grande Guerre

 

Frédérik Detue

Je voudrais présenter dans cet article un résultat de ma recherche en thèse de doctorat1, tel que je l’ai exposé en mars 2012 dans un colloque consacré à « Ce que le document fait à la littérature »2. Ce résultat concerne en l’occurrence un type de document particulier, qui est le témoignage de crime de masse. Je soutiens en effet dans la thèse que l’art du témoignage crée un schisme littéraire au XXe siècle, et ce, dès l’époque de la Première Guerre mondiale.

Il me paraît important de problématiser cette idée avant de la développer, de façon à en éclaircir les enjeux ; le nœud du problème qu’elle pose étant évidemment le terme de « schisme ».

  1. Le constat sur lequel se fonde l’énoncé de cette idée, c’est que l’on assiste à un double avènement, avec la Première Guerre mondiale : l’avènement, avec la guerre en elle-même, avec la mort de masse dans des proportions jamais atteintes, de ce que Miguel Abensour appelle « la terreur moderne »3 ; et corrélativement, l’avènement, avec la masse de témoignages de cette guerre, d’un nouvel art d’écrire, ou d’un nouveau genre.

Quant à ce second avènement, il me paraît important de souligner qu’il est révélé magistralement par une publication de 1929 que le XXe siècle a ignorée presque entièrement et que l’on redécouvre heureusement depuis sa réédition en 1993 par les Presses universitaires de Nancy ; je parle ici du livre Témoins de Jean Norton Cru, présenté par l’auteur comme un « Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928 ». On peut observer d’abord que cet ouvrage donne une idée de la masse inédite de témoignages provoqués par la guerre, traitant de « 300 volumes et 246 auteurs »4. Puis, étant donné la qualité de l’« analyse critique » proposée de cette matière encore difficile à saisir, on peut tout à fait considérer, avec l’historien Frédéric Rousseau, que J. N. Cru est non seulement « le premier à instituer le témoignage à la fois dans l’espace public et dans l’espace savant, à lui définir un statut », mais encore « le premier à le penser et à le questionner »5.

  1. Quant à la thèse en elle-même, elle consiste à affirmer que ce double avènement marque une double rupture culturelle. Ce que Walter Benjamin désigne comme une rupture dans l’expérience, d’abord : lorsqu’il écrit que les combattants de la Grande Guerre sont revenus du champ de bataille « [n]on pas plus riches, mais plus pauvres en expérience communicable »6. Puis, corrélativement, ce que j’appelle – en m’inspirant de toute une tradition de « critique de la culture » – schisme littéraire7, c’est-à-dire rupture dans l’art d’écrire : refus d’hériter de l’art d’écrire d’avant la guerre, et donc invention d’un nouvel art d’écrire conditionné par cette guerre.

Ce que soutient Benjamin lorsqu’il parle de perte en expérience transmissible (Erfahrung) des combattants, c’est l’idée que leur expérience (Erlebnis) de la destruction a mis en échec la culture qu’ils avaient acquise avant 1914, que cette culture d’avant 1914 a été tellement réduite à néant par la guerre qu’elle est devenue pour eux comme sans usage, un bagage encombrant qui n’a plus qu’à être abandonné. Or c’est bien ce dont témoignent les combattants dans les textes que je me propose ici d’étudier, je ne ferai ici que l’évoquer rapidement mais, je l’espère, assez clairement.

L’idée que cette perte en expérience induit un schisme littéraire, cependant, pose au moins trois difficultés :

  1. il y a ceux pour qui la question ne se pose pas d’induire d’un échec culturel tel que la guerre mondiale la mise en cause de la culture héritée ;
  2. il y a ceux pour qui la question se pose éventuellement, mais pas en rapport avec la Première Guerre mondiale ; autrement dit, ceux pour qui il faut attendre l’après-Auschwitz, et la fameuse formulation de la question par Theodor Adorno8, pour qu’elle se pose ;
  3. enfin – last but not least – il y a ceux pour qui, si la question se pose, elle ne concerne pas le témoignage, cette littérature qu’on tend à considérer comme « conditionnelle » et à laquelle d’ailleurs ni Benjamin ni Adorno ne songeaient, mais elle concerne la littérature « constitutive », voire cette essence de l’art que serait la poésie9.

Ce sont ces préjugés tenaces que j’entends contester dans le propos qui suit, et d’une certaine façon, je me pose ce faisant en porte-parole, car les témoins de la Grande Guerre eux-mêmes ont souvent eu conscience, en écrivant, de produire un schisme. Ils ont compris en effet, à la manière de J. N. Cru, que « [l]a vraie littérature se moque de la littérature »10. Que, d’abord, la littérature leur avait menti depuis toujours, et spécialement depuis le XIXe siècle, sur ce que c’est que la guerre, et que donc elle avait sa part de responsabilité dans la perpétuation de ce fléau. Puis que c’était en conséquence leur mission à eux, combattants, pour qu’un tel fléau cesse enfin, de rétablir la vérité sur la guerre, en disant toute la vérité et rien que la vérité sur cette réalité qu’ils avaient appris à connaître mieux que quiconque.

Il y avait donc une exigence politique dans leur engagement de témoins : non seulement dans la volonté polémique de dénoncer toute la culture mensongère du passé et du présent, celle incarnée notamment par Maurice Barrès et sa Chronique de la Grande Guerre tant honnie ; mais aussi, dans le geste de lancer un signal d’alarme à destination des générations futures, geste qui trahit l’espérance d’un sauvetage malgré tout de la culture.

Mais cette exigence politique passait très concrètement par une exigence éthique dans laquelle gît essentiellement la question du document : exigence éthique dans le souci des témoins de raconter le plus fidèlement possible leur guerre plutôt que la guerre, et ce, pour les autres, – c’est-à-dire, d’une part, à destination de ceux qui ont vécu la guerre à leurs côtés mais qui n’y ont pas survécu, et d’autre part, à l’intention de ceux qui ne l’ont pas vécue et qui n’ont que des idées fausses à son sujet ; exigence éthique, donc, par rapport à l’expérience – soit ce souci cher à Hermann Broch de faire « du bon travail » (et non pas « du beau travail ») au regard de la « portion nouvelle du réel » qu’on ressent l’obligation de « formuler afin qu’elle accède à l’existence »11 ; et corrélativement, outre l’hommage aux compagnons tués : exigence éthique par rapport aux lecteurs non-combattants, dans le désir de réaliser une transmission et de faire ainsi de ces lecteurs des témoins du témoin en leur faisant imaginer l’inimaginable.

Ce qu’il s’agit de démontrer, en somme, c’est que, loin d’exclure le témoignage de la littérature, la valeur documentaire sur laquelle se fonde le pacte testimonial participe d’un nouveau régime artistique de la littérature ; que, quand le témoignage s’oppose à la littérature au nom de sa vérité documentaire, c’est de façon dialectique, non pas pour soutenir unilatéralement qu’il rompt avec une littérature essentialisée comme mensonge, mais pour soutenir qu’il rompt avec un certain régime idéaliste de la littérature qui a rendu possible la guerre à force de dénier le réel, et qu’il crée un autre régime artistique qui donne moins de pouvoir arbitraire à l’écrivain – le régime incriminé étant, suivant mon analyse, le régime littéraire inauguré par la théorie du premier romantisme allemand au tournant du XIXe siècle.

Je propose de faire cette démonstration en développant deux points : premièrement, j’étudierai le « choix du petit » dans le témoignage ; deuxièmement, j’étudierai le témoignage en tant que document personnel.

Le « choix du petit » dans le témoignage

Le « choix du petit » est une expression que j’emprunte à M. Abensour, dans un texte de 1982 repris en postface des Minima Moralia d’Adorno. Le philosophe y risque en effet « l’hypothèse selon laquelle […] contre cette mobilisation totale advenue avec la Première Guerre mondiale, à son extrême opposé même, est apparue au sein de la modernité une figure de résistance originale que l’on pourrait désigner comme le choix du petit »12. Le « petit » auquel il pense ici, c’est essentiellement, suivant une image de Benjamin, « dans un champ de forces traversé de tensions et d’explosions destructrices, le minuscule et fragile corps humain »13 ; autrement dit, l’homme qui subit au front une épreuve de « désincorporation » ou de « mécanisation du corps ». Or, face à cette « négation de l’individu » dans la terreur de la guerre, suggère M. Abensour, un hégélien comme Franz Rosenzweig découvre « le caractère mensonger de la totalité » et « affirme envers et contre le Tout la légitimité de l’expérience individuelle » ; et, quant à ce parti de l’individu en littérature, il songe à « l’investissement du petit [chez Kafka] »14, – écrivain qui a en effet perçu les temps à venir « essentiellement comme l’individu qui seul en subirait les atteintes »15.

Je désire pour ma part faire valoir que ce choix du petit, cette écriture du point de vue de la victime individuelle d’un crime de masse, s’invente aussi, dans le même temps que l’œuvre de Kafka, avec les témoignages de ceux qui, tel Jean Galtier-Boissière, découvrent brutalement en 1914 qu’il y a une « effroyable disproportion entre les engins de mort et les petits soldats, dont le système nerveux n’est pas à la hauteur de telles secousses »16.

Ce choix du petit procède d’abord du fait qu’« au contact d’une réalité si prodigieusement cruelle »17, les combattants prennent conscience de l’« inconcevable ignorance [qu’ils avaient] tous de ce vrai visage [de la guerre] »18, qu’ils réalisent du même coup l’énorme mensonge des « phrases à panache qui [leur] ont tourné la tête »19 et qu’ils ont lues aussi bien chez « [l]es narrateurs des guerres passées » que dans les discours nationalistes de Barrès et de Gustave Hervé, et qu’ils se sentent donc soudain, tel Jules-Émile Henches, épris de vérité20. Selon Jean Marot, dans Ceux qui vivent (1919), tel est l’apprentissage de la guerre en effet, qu’« à défaut d’une sincérité spontanée, les circonstances nous mènent au culte du vrai »21 . Or cette vérité du front que déterminent les faits n’est pas « vérité dogmatique, absolue, transcendantale, mais vérité toute humaine », – elle est « vérité vécue »22 .

C’est la raison pour laquelle, en premier lieu, les combattants se convainquent, tel Jean Bernier, que « [c]elui qui n’a pas compris avec sa chair », qui ne s’est pas « enli[sé] dans les boyaux gris », n’est définitivement pas légitime pour prétendre raconter la guerre en connaissance de cause23, que si celle-ci fait naître une littérature, ce doit être « une littérature réaliste des combats due à la plume des combattants eux-mêmes, à la plume des survivants et, à celle des morts dont on sortira les lettres, les carnets de route, les notes intimes »24. À partir du moment où l’on a pu éprouver en personne que « [l]a guerre n’est pas un concept métaphysique, [qu’]elle est un fait matériel qu’on peut connaître par le contact direct, par les yeux, les oreilles, le nez, les nerfs, les entrailles, bien plus exactement que par une opération purement intellectuelle »25, on se doit de parler, revendique Max Deauville dans La Boue des Flandres (1922), parce que, « si nous [autres combattants] nous taisons, d’autres viendront qui dénatureront les faits bien plus que nous ne pourrions le faire », c’est-à-dire qu’ils « nous dépeindront la guerre sous des couleurs rutilantes »26.

Pour bien raconter la guerre, la condition nécessaire est donc d’avoir été exposé au danger, et c’est d’ailleurs désormais le seul critère valable pour définir le mot combattant. Car, moins on a été exposé au danger, et plus on est enclin à perpétuer le mythe de la guerre, en particulier en ce qui concerne l’héroïsme et le nationalisme. C’est la raison pour laquelle Cru privilégie dans Témoins les témoignages des fantassins de l’avant, qui ont dû supporter le poids le plus lourd de la guerre et qui rendent mieux compte, tel Pierre Chaine dans Les Mémoires d’un rat (1917), de ce que, plus que jamais en 14-18, « le progrès des armements [ayant] supprimé l’ancienne valeur », « le courage moderne consiste à ne pas reculer devant la mort invisible et inévitable »27.

Mais cette condition nécessaire n’est cependant pas suffisante, car encore faut-il ne pas faire partie des « nombreuses victimes de la littérature »28. À cet égard, le problème n’est pas de savoir si l’on écrit pour ou contre la guerre. Comme « il n’y a pas de nationalisme guerrier qui tienne devant la réalité révélée au feu »29, les écrits qui louent la guerre sont de toute façon d’emblée disqualifiés comme idéologiques et mensongers. La question est donc de savoir comment on écrit contre, car on peut aussi écrire faussement et idéologiquement contre la guerre, dès lors, précise Cru, que l’on ne fait pas preuve de « ce souci d’exactitude scientifique qui est l’honneur [du vingtième] siècle »30, et que l’on ne se limite pas en conséquence « aux horreurs dont on a été personnellement témoin »31.

C’est de ce point de vue qu’il peut être question d’« intoxication littéraire ». Une cible privilégiée de J. N. Cru dans Témoins, en effet, ce sont les « littérateurs » professionnels tels Barbusse et Dorgelès, qui ont le plus souvent commencé d’écrire avant la guerre et qui ont écrit des romans de guerre dans lesquels, bien qu’ils « se targuent de parler en témoins qui servent la vérité »32, ils prennent en fait le parti de « sacrifi[er] le vrai à la littérature »33, de troquer l’expérience contre l’imagination, leur guerre contre la guerre. Affichant son mépris pour les « Carnets de route » des « écrivain[s] de guerre », dont il juge « qu’ils n’offr[ent] d’intérêt que pour leurs signataires »34, Dorgelès revendique hautement son refus de l’autolimitation et son droit, au nom d’une synthèse de la guerre, d’inventer les détails. « L’anecdote, parbleu, on peut l’inventer », écrit-il ; « [p]ourquoi copier, quand on peut engendrer ? »35 Or J. N. Cru proteste, de la même façon qu’un Robert Musil pourrait le faire. À Spengler qui « note quelque part que la connaissance n’est pas un simple contenu, mais un acte vivant », Musil reproche en 1921 le fait de « néglig[er] infiniment trop [qu’elle soit aussi un contenu] ». De façon analogue, Cru reproche à Dorgelès de négliger ce que son expérience a de plus concret, de plus empirique, comme si ce détail des petits faits opposait là aussi « décidément trop d’obstacles au libre envol de la pensée »36 ; cette prétention à la synthèse, analyse-t-il, n’aboutit qu’à une dénaturation de l’expérience « par des excès, des abus, des exagérations, des déformations, des efforts toujours visibles pour atteindre au sensationnel ou aux traits d’esprit »37.

À l’inverse, Cru estime les témoins qui font preuve du plus grand scrupule envers leur petite expérience, qui comprennent l’impératif de se hâter vers leurs « souvenirs que demain recouvrirait d’oubli »38, et qui prennent donc « des repères dans l’horreur », de peur, comme le note Léon Werth, que « [leurs] souvenirs deviennent bien vite de molles notions que modèlent bien vite la convention universelle, les convenances de l’époque et les idées des autres »39. C’est dans ce sens que Cru prise spécialement, « dans les impressions personnelles, […] la vérité du moment », quand « [l]es poilus ont laissé la trace de leur pensée immédiate, pendant le contact avec les faits (carnets, correspondance, etc.) » ; car, contrairement à l’histoire, qui « gagne à attendre, à corriger, à réviser », « les impressions de témoins ont tout à craindre du temps, du délai, avec leurs repentirs, leurs palinodies »40.

Le témoignage comme document personnel

Cru s’attache ainsi à la valeur documentaire des témoignages qui, « sans prétention littéraire comme sans ambition de propagande ou de thèse »41, appréhendent la guerre – à la façon de Charles Nordmann – comme un phénomène « justiciable de l’expérimentation et de la critique scientifiques », « soumis aux lois de l’observation et de la logique » ; car, contre toutes « [l]es leçons antérieures », contre « tous les enseignements des livres et des systèmes », il s’agit pour lui de faire valoir le savoir acquis par les combattants à la seule et « véritable école de la guerre » qu’« a été la guerre elle-même »42.

Cependant, il serait tout à fait faux de dénoncer chez Cru – comme certains, non sans malveillance, ne s’en sont pas privés – une conception étroitement positiviste de la vérité documentaire et, corrélativement, une bien pauvre conception de la littérature. Car l’exactitude scientifique qu’il exige du témoignage ne détermine pas toute sa valeur documentaire. Cette exactitude a une fonction d’authentification du témoignage, de sorte que celui-ci puisse devenir un matériau exploitable pour l’historien ; or c’est un point essentiel, puisque jamais, à cette époque, l’histoire militaire n’a été écrite du point de vue des combattants. Mais ce n’est qu’un cadre, soit un critère nécessaire mais – là encore – insuffisant pour juger de la valeur du témoignage.

Car ce qui distingue les témoignages de tous les autres documents, selon Cru, c’est qu’ils sont des « documents personnels », et qu’en tant que tels, ils « diffèrent [des matériaux non personnels] par ce facteur qui décide de tout : la psychologie »43. Drôle de positiviste que Cru, vraiment, pour qui la « vérité vécue », « toute humaine », des témoignages s’évalue, non pas à l’aune de quelque positivité de faits dits objectifs, mais à celle de la subjectivité du témoin. Il reproche même aux témoins qui écrivent « des souvenirs personnels trop riches en faits » de leur donner « l’allure d’un historique » et de perpétuer ainsi « cette notion fausse que la guerre est tissue d’une trame continue de faits tactiques »44. C’est une « notion fausse », précise-t-il encore, du point de vue psychologique – car dans ces témoignages « [c]omme dans les romans de cape et d’épée le lecteur ne se rend pas compte du danger ; le sang, la mort sont mentionnés sans qu’on les prenne plus à cœur que dans un roman de Dumas »45. Or il faut que le lecteur se rende compte de ces éléments qui sont en définitive « les seuls éléments qui comptent : le danger, la peur, l’horreur de la mort »46. Aussi les témoins qui font le mieux comprendre la guerre sont-ils ceux qui, comme Louis Mairet, se révèlent sans réticence, qui s’efforcent de transmettre aux lecteurs tout ce qu’ils ont éprouvé, et qui, livrant ainsi les témoignages les plus subjectifs, peignent la guerre « en ce qu’elle a de plus intime »47. Ce sont ces combattants écrivains que, suivant Raymond Jubert, « [l]a guerre […] a mués […] en psychologues par la présence quotidienne des mêmes pensées »48, qui ont donc bien compris – contrairement à Barbusse – « que l’enfer des soldats est avant tout un enfer des idées » ; chez qui on ne constate pas – comme chez Frédéric Duval – « l’absence de la guerre en tant que problème personnel » mais on découvre au contraire « l’examen des lendemains menaçants et tout ce qui tourmente l’âme des combattants ». Ce sont ceux qui ont aussi compris, à la différence de Pierre de Kadoré, « qu’il ne suffit pas de relater un chapelet d’incidents et d’accidents dans leur matérialité pour faire sentir le réel, pour donner la saveur de la chose vécue » et qui font l’effort, à l’instar d’André Pézard, de « transmettre le fait, non pas tout nu, mais avec son atmosphère », – avec « cette atmosphère du front qui f[ait] toute la valeur, la force, le charme ou l’horreur des choses ». Ce sont ceux, enfin, qui ne commettent pas l’erreur d’un Jeanbernat de produire « la simple énumération d’une variété de souffrances physiques non accompagnées de leur complément naturel d’appréhensions et d’angoisses », qui anticipent, donc, qu’une telle énumération à l’état brut « ne produit presque pas d’effet sur l’esprit de l’auditeur ou du lecteur »49.

On voit ici combien la destination est fondamentale, liant intimement la valeur documentaire et la valeur littéraire. Cru évoque lui-même le « véritable mal de mer »50 qu’il ressent à la lecture des bons témoignages, et sans doute y est-il spécialement disposé en tant que lecteur combattant, compte tenu de la « réceptivité de l’âme » que lui a enseignée « [s]a dure campagne de 27 mois »51. Quant aux lecteurs non-combattants que nous sommes, certes, jamais on ne pourra faire que nous ayons été « [l]à-bas avec ceux qui souffrent », pour reprendre le titre du petit « chef-d’œuvre » de Guy Hallé paru en 1917. Mais ce titre peut s’entendre aussi comme un appel, et dans ce sens, les témoignages subjectifs qui entreprennent, à l’instar de Nous autres à Vauquois (1918) de Pézard, « d’exprimer l’inexprimable, de dire l’indicible, de montrer cette vérité qui ne peut s’énoncer avec des mots, celle qui est du domaine de l’intuition, du pur sentiment », contribuent avec force à faire de l’œuvre de cette génération de 14-18 une œuvre collective « dépassant de très loin toutes les tentatives des générations passées pour donner à ceux qui n’ont pas combattu une image de la guerre »52. Cette capacité d’imaginer l’inimaginable qui nous est donnée, cette compréhension intime de l’expérience par l’imagination et dans la compassion, vaut infiniment mieux, en définitive, que tous les discours pacifistes de convention pour lutter efficacement contre la guerre. C’est selon Cru « l’idée capitale » de Sous le fouet du destin (1919) d’André Maillet, – idée qui lui a inspiré à lui-même sa propre entreprise :

Si les hommes connaissaient toutes ces tortures, s’ils pouvaient souffrir tous, par la pensée, ce que nous avons réellement souffert, c’en serait à jamais fait des guerres. Nulle part un groupe de dirigeants, s’il était assuré de vivre ce que nous avons vécu, ne voudrait prendre la responsabilité de déclencher de pareilles tueries.53

Cette idée capitale de Maillet se fonde sur une conscience de la responsabilité du témoin, au regard de l’avenir de l’humanité. Le problème étant, intolérable, que toutes ces souffrances endurées risquent fort de tomber dans l’oubli et l’indifférence, recouvertes par le mensonge et le cynisme. Ainsi, dans un temps où, de façon générale, la presse et les romans diffusent imperturbablement les mythes de la tradition, cultivant le déni de l’expérience vécue par des millions de combattants, des voix dissidentes parmi ceux-ci tentent désespérément de se faire entendre, se révoltant contre le fait que « de ceux qui prêtent l’oreille la communauté dispar[aisse] »54 – et redonnant en conséquence à l’époque présente le visage du narrateur. L’enjeu est en effet pour le témoin de renouer avec un art du récit en train de se perdre, – non pas de « transmettre le pur en-soi de l’événement » mais de « l’incorpor[er] dans la vie même de celui qui raconte, pour le transmettre, comme sa propre expérience, à ceux qui écoutent »55, de sorte que les lecteurs puissent à leur tour l’incorporer à leur propre expérience et qu’une remémoration collective devienne possible. Or on peut observer rétrospectivement que, malgré l’échec ponctuel de ce projet testimonial (qui n’a par exemple pas empêché une Seconde Guerre mondiale), celui-ci a néanmoins eu la force de s’affermir en se renouvelant au cours du siècle, au point qu’une part de l’art et de la littérature dits « constitutifs » lui doit aujourd’hui d’être ce qu’elle est : « un dispositif d’alerte »56 – comme une porte toujours ouverte aux espérances du passé.

 

 


1 F. Detue, En dissidence du romantisme, la tradition post-exotique : Une histoire de l’idée de littérature aux XXe et XXIe siècles, thèse de doctorat en Littérature générale et comparée sous la dir. de T. Samoyault, Saint-Denis, Université Paris VIII, 2011, en particulier p. 183-247.

2 Il s’agissait du colloque « Ce que le document fait à la littérature (1860-1940) », organisé à l’université d’Aix-en-Provence par Claude Pérez, Corinne Flicker et Philippe Jousset, les 22 et 23 mars 2012. Les Actes de ce colloque ont paru en ligne sur le site de Fabula ; voir http://www.fabula.org/colloques/sommaire1730.php. Je ne me suis pas associé à cette publication, pour une raison éthique assez simple que j’ai exposée à Claude Pérez : je ne souhaitais pas que mon étude, qui pose la question de savoir ce que c’est qu’un vrai témoignage, qui pose donc la question de la valeur de vérité d’un tel document, jouxte une étude sur le Maurice Barrès de la Chronique de la Grande Guerre qui ne se pose absolument pas cette question, au risque de louer la probité d’un héraut nationaliste « dont le lyrisme quotidien irrita tant les poilus » (Jean Norton Cru, Témoins : Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Nancy, Presses universitaires de Nancy, coll. « Histoire contemporaine », 2006, p. 423).

3 M. Abensour note justement que « la terreur moderne s’installe en grand avec la Première Guerre mondiale, “la Grande-Guerre” » (Postface : « Le choix du petit », dans T. W. Adorno, Minima Moralia : Réflexions sur la vie mutilée, trad. de l’allemand par É. Kaufholz et J.-R. Ladmiral, Paris, Payot, coll. « Critique de la politique », 1991, p. 231).

4 J. N. Cru, Témoins, op. cit., p. 707. En 1961, Jean Galtier-Boissière, combattant de la Grande Guerre, déplorait qu’une œuvre aussi « fondamentale », et très vite épuisée, n’ait « jamais été réédit[ée] » (« Norton Cru et la vérité sur la guerre », dans Mémoires d’un parisien, t. II, Paris, La Table Ronde, 1961, p. 177-178).

5 Frédéric Rousseau, Préface : « Pour une lecture critique de Témoins », dans J. N. Cru, Témoins, op. cit., p. S13-S14.

6 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté » [« Erfahrung und Armut », 1933], dans Œuvres, t. II, trad. de l’allemand par M. de Gandillac, R. Rochlitz et P. Rusch, Paris, Gallimard, coll. « Folio / Essais », 2000, p. 365. La même formulation est reprise par Benjamin au début de l’article « Le conteur : Réflexions sur l’œuvre de Nicolas Leskov » [« Der Erzähler », 1936] (ibid. T. III., p. 116).

7 Catherine Coquio, qui a beaucoup travaillé à la fois sur la Kulturkritik et sur le témoignage, emploie l’expression de « schisme littéraire » dans un article consacré au témoignage : voir C. Coquio, « La “vérité” du témoin comme schisme littéraire », dans D. Dobbels, D. Moncond’huy (dir.), Les Camps et la littérature : Une littérature du XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, coll. « La Licorne », p. 65-91.

8 Je fais référence évidemment à la phrase d’Adorno sur l’impossibilité d’« écrire aujourd’hui des poèmes », étant donné qu’« écrire un poème après Auschwitz est barbare » (T. W. Adorno, « Critique de la culture et société » [« Kulturkritik und Gesellschaft », 1951], dans Prismes : Critique de la culture et société, trad. de l’allemand par G. et R. Rochlitz, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2010, p. 30-31).

9 La distinction qu’opère Gérard Genette entre « deux régimes de littérarité », l’un « constitutif », et l’autre « conditionnel » (Fiction et diction, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », p. 7), participe à mon sens de l’attitude « ambiguë » à l’égard du témoignage qui consiste à le « distingu[er] soigneusement […] de la “vraie” littérature » et que dénonçait Georges Perec après 1945 (« Robert Antelme ou la vérité de la littérature », dans L.G. : Une aventure des années soixante, Paris, Le Seuil, coll. « La Librairie du XXe siècle », 1992, p. 87-88).

10 Cru écrit exactement : « La maxime La vraie littérature se moque de la littérature n’a jamais été aussi vraie qu’ici. » (Du témoignage, Paris, Gallimard, coll. « Les documents bleus », 1930, p. 88.)

11 Hermann Broch, Quelques remarques à propos du kitsch, trad. de l’allemand par Albert Kohn, Paris, Allia, 2001, p. 33 et 27.

12 M. Abensour, « Le choix du petit », dans T. W. Adorno, Minima Moralia, op. cit., p. 234.

13 W. Benjamin, « Expérience et pauvreté », dans Œuvres, op. cit., t. II, p. 365.

14 M. Abensour, « Le choix du petit », dans T. W. Adorno, Minima Moralia, op. cit., p. 235.

15 W. Benjamin, Lettre à Gerhard Scholem du 12 juin 1938, Correspondance, t. II. : 1929-1940, trad. de l’allemand par G. Petitdemange, Paris, Aubier Montaigne, 1979, p. 250.

16 J. Galtier-Boissière, En rase campagne 1914. Un hiver à Souchez 1915-1916 (1917), cité par J. N. Cru, Témoins, op. cit., p. 140.

17 J. N. Cru, « Jacques Péricard », dans ibid., p. 380.

18 J. N. Cru, « Robert Vivier », dans ibid., p. 411.

19 J. N. Cru, « Jean Marot », dans ibid., p. 451.

20 « C’est peut-être une des rares choses que la guerre m’aura fait gagner : le désir plus ardent de la vérité », écrit Jules-Émile Henches dans une lettre du 24 décembre 1914 (J.-É. Henches, Lettres de guerre (1917), cité par J. N. Cru, ibid., p. 523).

21 Jean Marot, Ceux qui vivent (1919), cité par J. N. Cru, ibid., p. 451.

22 J. N. Cru, ibid., respectivement p. 661 et 50.

23 Jean Bernier, La Percée : Roman d’un fantassin, 1914-1915, Marseille, Agone, 2004, coll. « Marginales », p. 56. « Quant à la phrase “Celui qui n’a pas compris avec sa chair [ne peut vous en parler]” elle est l’alpha et l’oméga de toute la littérature de guerre par les témoins », souligne Cru (Témoins, op. cit., p. 575), qui la cite en épigraphe de Témoins (ibid., p. V).

24 J. N. Cru, Lettre du 29 décembre 1916 à sa mère et ses sœurs, cité par F. Rousseau, Préface, dans J. N. Cru, Témoins, op. cit., p. S5.

25 J. N. Cru, « Henry d’Estre », dans ibid., p. 138.

26 Max Deauville, La Boue des Flandres (1922), cité par J. N. Cru, ibid., p. 121.

27 Pierre Chaine, Les Mémoires d’un rat (1917), cité par J. N. Cru, ibid., p. 426. Sur la bravoure devenue, « pour le fantassin moderne », « une des formes du sacrifice », étant donné qu’elle « est devenue inutile à la conservation de l’individu », voir J. N. Cru, « Marc », dans ibid., p. 199. Dans sa lettre du 29 décembre 1916 à sa mère et ses sœurs, Cru concède que l’on puisse encore qualifier le soldat de « héros », si l’on révise la signification de ce mot de la même façon que celle du mot « combattant » : « Je n’aime pas ce mot de héros par tout ce qu’il suggère de la légende, mais il est clair que tous nos combattants sont des héros, tous ceux qui ne désertent pas, qui ne fuient pas, qui ne se cachent pas dans un trou. Tous ces héros sont, non pas des surhommes, des demi-dieux comme Hercule, Thésée ou Achille, mais des hommes, frêles machines de chair, qui avancent dans une pluie de fragments d’acier, qui surmontent le tremblement, l’affolement, la panique, qui chassent de leur pensée tout ce qui coupe les jambes (l’image de l’épouse chérie ou du garçonnet à tête blonde) et qui avancent, avancent toujours, parmi les hurlements des démons et les fracas infernaux parce que c’est l’ordre, parce qu’il le faut, parce que faire autrement n’est pas possible » (cité par F. Rousseau, Préface, dans J. N. Cru, ibid., p. S5).

28 J. N. Cru, « Émile Poiteau », dans ibid., p. 563. Sur l’« intoxication littéraire », voir Charlotte Lacoste, Le Témoignage comme genre littéraire en France de 1914 à nos jours, thèse de doctorat sous la co-dir. de F. Rastier et de T. Samoyault, Nanterre / Saint-Denis, Universités Paris X-Paris VIII, 2011, p. 89-92.

29 J. N. Cru, « Marc Boasson », dans ibid., p. 498. Cru expose le cas de M. Boasson, « arrivé au front en avril 1915 royaliste, nationaliste, patriote guerrier, farouchement antirépublicain, anti-sorbonnard et tout ce qu’on peut déduire de cette attitude », et dont « Verdun retourne complètement [l]es opinions sur la guerre et l’armée » (ibid.).

30 J. N. Cru, « Robert Vivier », dans ibid., p. 412.

31 J. N. Cru, « Émile Poiteau », dans ibid., p. 639. Par cette exigence, remarque Renaud Dulong, « tout en affirmant une perspective nouvelle privilégiant le vécu de l’événement, l’ouvrage [de Cru] maintient le réquisit des magistrats vis-à-vis d’un témoin oculaire : faire la preuve qu’il ne raconte que ce qu’il a vu » (R. Dulong, Le Témoin oculaire : Les conditions sociales de l’attestation personnelle, Paris, Éd. de l’E.H.E.S.S., coll. « Recherches d’histoire et de sciences sociales », 1998, p. 74).

32 J. N. Cru, Du témoignage, op. cit., p. 83.

33 J. N. Cru, « Georges Duhamel », dans Témoins, op. cit., p. 594.

34 Roland Dorgelès, Souvenirs sur les Croix de bois, Paris, À la Cité des livres, 1929, p. 15.

35 Ibid., p. 25 et 34.

36 R. Musil, « Esprit et expérience : Remarques pour des lecteurs réchappés du Déclin de l’Occident » [1921], dans Essais : Conférences, critique, aphorismes et réflexions, trad. de l’allemand par P. Jaccottet, Paris, Le Seuil, 1984, p. 102. Quant aux civils et aux non-combattants qui n’ont pas mené « l’humble vie de l’homme des tranchées » et qui entreprennent néanmoins de la raconter, la question de l’expérience ne les embarrasse pas : faute d’avoir mené cette vie, écrit Max Buteau, ils « l’imaginent telle qu’ils voudraient qu’elle soit. Ils bâtissent de bonne foi un roman qui leur plaît. Aucun souvenir personnel ne les gêne. Et des récits qu’on leur fait, ils ne retiennent sans le savoir que ce qui sert à leur dessein. Ils pensent qu’ils ont cherché la vérité, et même qu’ils l’ont trouvée, quand ils ne trouvent qu’eux-mêmes au fond de leur rêve » (M. Buteau, Tenir : Récits de la vie de tranchées (1918), cité par J. N. Cru, Témoins, op. cit., p. 284).

37 J. N. Cru, « Roland Dorgelès », dans ibid., p. 588.

38 Raymond Jubert, Verdun : Mars-Avril-Mai 1916, Nancy, Presses universitaires de Nancy, coll. « Témoins et témoignages », 1989, p. 27.

39 Léon Werth, Clavel soldat, Paris, Viviane Hamy, coll. « Bis », 2006, p. 152. Cité par J. N. Cru, « Léon Werth », dans Témoins, op. cit., p. 655.

40 J. N. Cru, ibid., p. 451 (« Jean Marot ») et 491. Dans la « Classe I » du « Classement des auteurs par ordre de valeur », 17 des 29 témoignages dont Cru juge la valeur de vérité « excellente » sont de ces carnets de route tant méprisés par Dorgelès ; un seul roman figure dans cette classe, en revanche (La Percée de Bernier) : voir ibid., p. 663.

41 J. N. Cru, « Bernard Descubes », dans ibid., p. 289.

42 Charles Nordmann, À coups de canon : Notes d’un combattant (1918), cité par J. N. Cru, Du témoignage, op. cit., p. 125-126. L’idée de C. Nordmann suivant laquelle « [l]e phénomène bataille est, comme tous les phénomènes naturels, justiciable de l’expérimentation et de la critique scientifiques » est citée par J. N. Cru en épigraphe de Témoins (voir op. cit., p. V).

43 J. N. Cru, Témoins, op. cit., p. 9.

44 Ibid., p. 23.

45 « Pierre de Kadoré », dans ibid., p. 165.

46 Ibid., p. 24.

47 Ibid., p. VIII. Sur le témoignage de Mairet, qui est l’« un des plus pathétiques », voir « Louis Mairet », dans ibid., p. 189-195.

48 R. Jubert, Verdun, op. cit., p. 25.

49 J. N. Cru, Témoins, op. cit., p. 161, 135, 165, 226, 524.

50 J. N. Cru, « Hassler », dans ibid., p. 161.

51 J. N. Cru, Lettre du 14 février 1917 à sa sœur Hélène, dans Lettres du front et d’Amérique (1914-1919). Aix-en-Provence, Publication de l’Université de Provence, coll. « Le temps de l’histoire », 2007, p. 221.

52 J. N. Cru, « André Pézard », dans Témoins, op. cit., p. 225-226. Je souligne.

53 André Maillet, Sous le fouet du destin (1919), cité par J. N. Cru, Du témoignage, op. cit., p. 181. Je souligne. Cru reformule ce passage, dans la notice sur Maillet de Témoins : « si nous, combattants, nous pouvions peindre notre guerre avec assez de vérité et d’art pour que les hommes de demain, nous lisant, éprouvent mentalement des souffrances assez identiques à celles que nous avons éprouvées réellement, alors le problème de la paix permanente serait résolu, la guerre deviendrait impossible, non pas matériellement, bien mieux : impossible à concevoir, à accepter dans l’esprit » ; puis il commente : « Maillet croit que c’est impossible. C’est parce que je crois le contraire – et uniquement pour cette raison – que j’ai entrepris de faire connaître l’œuvre de Maillet et de ses pairs » (J. N. Cru, « André Maillet », dans Témoins, op. cit., p. 366). C’est une idée qu’à son tour, André Ducasse reprend à son compte, dans La Guerre racontée par les combattants en 1932, soutenant que, « [s]i les hommes connaissaient toutes ces tortures, s’ils pouvaient souffrir ce que nous avons réellement souffert, c’en serait fait à jamais des guerres » (cité par Rémy Cazals et Frédéric Rousseau, 14-18, le Cri d’une génération, Toulouse, Privat, coll. « Entre légendes et histoire », 2001, p. 112).

54 W. Benjamin, « Le conteur », dans Œuvres, op. cit., t. III, p. 126.

55 W. Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », dans ibid., p. 335.

56 Jean Cayrol, « Nous avons conçu “Nuit et Brouillard” comme un dispositif d’alerte », Lettres françaises : Arts, spectacles, du 9 au 15 février 1956, n° 606, p. 5. Je traite de cette « littérature à l’ère du témoignage » dans la dernière partie de ma thèse En dissidence du romantisme, la tradition post-exotique, op. cit., p. 317-403. Pour un cas d’école, voir mon article « Volodine lecteur des témoins : le dispositif d’éveil post-exotique », dans F. Detue, L. Ruffel (dir.), Volodine etc. : Post-exotisme, poétique, politique, Paris, Classiques Garnier, coll. « Littérature, histoire, politique », 2013 (à paraître).

 

Article publié le 10 février 2013

Design downloaded from free website templates.