La lanterne magique du romanesque*

 

à la mémoire de Jacqueline Lévi-Valensi

 

Andréas PFERSMANN
C.N.R.S. (C.R.A.L.) / Université de Nice (C.T.E.L.

Lo novelesco siempre atrae al lector; también seduce a los autores, los alienta y a veces los pierde. Sería curioso indagar las aventuras de lo novelesco a través de la historia de la novela, sus errores inexplicables y sus triunfosmaravillosos.

Adolfo Bioy Casares

 

 

Origine
Lazio
Caractéristique
Plante tardif, production de décembre a mai.
Coloration sur le rouge, absences totale des épines.
Format: Capitule avec diamètre moyen gros.
Plante cultivée par hectare
Environ 7000
Production
20 –25 Capitule pour plante
Reproduction
Basse production des Chardons en conséquence de Ovules
Durée de la plante
Environ 4- 5 ans
Consommation
De préférence a consommer frais, aussi cru que cuit émait [sic] un parfum unique. [1]  »

 

 


Romanesque. C’est le nom de la variante d’artichaut dont on vient de lire le descriptif tel qu’il était formulé, dans sa version française, sur le site web de l’entreprise sarde « Artichokes Picci » en mars 2003. Erreur de traduction ou écho du sens ancien, quelle importance pour les amateurs de mets raffinés, en quête d’originalité gustative ? Qu’un terme à connotations culturelles fasse l’objet d’une exploitation pour le marketing de produits gastronomiques, est assez banal, mais que le choix se soit porté, en l’occurrence, sur « romanesque », plutôt que sur « théâtral(e) », « poétique  », « élégiaque », « épique » ou « métaphore » n’est pas anodin. Il donne incontestablement à ce fade légume une saveur d’aventure, un goût inattendu, un zeste de surprise qu’on lui reconnaîtrait difficilement s’il s’appelait « alexandrin ». S’il peut avoir une efficacité commerciale, c’est aussi que le mot romanesque n’est pas exclusivement, en français, un terme technique du lexique littéraire, réservé aux seuls professionnels du texte. Il bénéficie d’une audience assez large, dans le quotidien, confirmée par le nombre d’occurrences contemporaines sur la toile et possède, aujourd’hui, dans le monde de la culture et surtout au-delà, un spectre de résonances positives, qui n’ont pas toujours été les siennes, susceptibles de garantir une plus-value, en termes d’image, aux marchandises les moins littéraires.

Dans une acception plus restreinte du mot « romanesque », limitée cette fois au champ culturel, on observe également, depuis une trentaine d’années, une revalorisation assez marquée. Le livre de René Girard a peut-être préparé le terrain, mais le sens idiosyncrasique [2] qu’il donne au terme dans Mensonge romantique et vérité romanesque (1961) n’a guère fait d’émules. La notion figure, en 1975, parmi les « Vingt mots-clés pour Roland Barthes » [3] et revient à plusieurs reprises dans les entretiens que Barthes accorde à cette période, voire dans l’intitulé du séminaire professé au Collège de France en 1976-1977[4]. Elle est donc dans l’air du temps lorsque l’Université de Picardie-Jules Verne procède, en 1976, à la création d’un « Centre d’Études du roman et du romanesque ». Son intitulé implique à la fois une complémentarité des deux termes et une distinction nette entre eux. Il fait apparaître « le romanesque » en tant que catégorie esthétique autonome, qu’on ne saurait confondre avec le seul «  genre romanesque ». Il s’agit certainement d’une des premières consécrations institutionnelles d’un terme dont la critique universitaire a fait depuis un usage inflationniste et généralement peu réfléchi pour catégoriser un certain type d’œuvres. Jamais en retard d’une mode, Alain Robbe-Grillet a regroupé ses textes d’inspiration autobiographique, en partie fictionnels, sous la rubrique énigmatique de « Romanesques ». S’agit-il, tout simplement, d’un synonyme d’autofiction ? D’après la notice bibliographique qui accompagne ses dernières publications aux éditions de Minuit, Le Miroir qui revient (1985), Angélique ou l’enchantement (1988) et La Mort de Corinthe (1994) relèveraient de ce « genre  ».

Le colloque que la Sorbonne a consacré au romanesque en septembre 2000 a enfin permis d’amorcer une réflexion épistémologique et un vaste balayage historique. Ses actes [5] sont d’autant plus attendus que les dictionnaires de littérature et autres ouvrages de terminologie, même récents [6], demeurent obstinément muets à l’article « romanesque » et ses équivalents italien, espagnol, portugais, et allemands.

Le Vocabulaire d’Esthétique est un des rares sinon le seul dictionnaire à réserver à la notion une entrée spécifique. La définition qu’il en propose, sans doute trop limitée à un sous-genre romanesque qui « garde l’éthos » du roman de chevalerie, repose sur trois critères essentiels : « 1) la prédominance de l’affectif  ; l’intensité et la noblesse des sentiments ; le grand rôle de l’amour, mais aussi de l’amitié, et de quelques autres attachés à un idéal ; 2) la densité des événements, et la mise entre parenthèse du répétitif et du quotidien ;  3) la fréquence des extrêmes et des purs (le très beau et le très laid, le sublime et l’infâme) par rapport au mixte et au neutre. [7]  »

Reformulés de façon plus technique, on retrouve strictement les mêmes critères, complétés par un quatrième, parmi « les traits les plus constants du romanesque », tels que Jean-Marie Schaeffer les a récemment synthétisés :

«  a) L’importance accordée, dans la chaîne causale de la diégèse, au domaine des affects, des passions et des sentiments ainsi qu’à leurs modes de manifestation les plus absolus et extrêmes.[...]

b) La représentation des typologies actantielles, physiques et morales par leurs extrêmes, du côté pôle positif comme du côté du pôle négatif. [...]

c) La saturation événementielle de la diégèse et son extensibilité indéfinie. [...]

d) [...] la particularité mimétique du romanesque, à savoir le fait qu’il se présente comme un contre-modèle de la réalité dans laquelle vit le lecteur. [8]  »

Ces traits sont pertinents dans le cadre d’une définition essentialiste du romanesque, mais il n’est pas certain qu’il s’agisse de constantes historiques. Du moins certains traits ont-ils été privilégiés à tel ou tel moment dans les définitions, souvent partisanes, de romanesque, romanzesco, novelesco, romanesk ou romanhaft, formulées par les acteurs du champ littéraire. C’est pourquoi on aimerait adopter ici une perspective différente et entreprendre un vagabondage historico-sémantique pour mieux comprendre l’émergence de romanesque, en tant que catégorie littéraire autonome, susceptible aussi bien d’être appliquée au théâtre que de permettre le découpage, à l’intérieur de la prose narrative, d’un « roman romanesque ». Il s’agit donc moins de réfléchir de façon générale sur le romanesque, que d’en interroger certaines figures lorsque le terme lui-même apparaît de façon explicite.

  Quels sont les enjeux esthétiques et idéologiques de la fortune mouvementée de l’adjectif et de sa forme substantivée ? Pourquoi le romanesque est-il tantôt apprécié, tantôt déprécié ? A quelles œuvres, à quels auteurs est-il identifié ? Quelles sont les valeurs qui lui sont associées ? Tout en rappelant un certain nombre d’occurrences connues, moins connues et parfois scandaleusement oubliées de la notion, on insistera, dans une optique comparatiste, sur quelques moments particulièrement critiques de son histoire.

***


L’émergence d’une catégorie esthétique transgénérique

Il n’y a pas lieu de s’attarder sur le sens plus ancien, « à la manière romaine », mentionné par le Trésor de la langue française, mais curieusement ignoré par le Grand Robert. Il est illustré par ces vers des Regrets qui datent de 1558 :

«  Dresser un grand apprest, faire attendre longtemps Puis donner à la fin un maigre passetemps : Voilà tout le plaisir des festes romanesques. [9] »

Romanesque rime ici avec tudesque et Werner Krauss qui s’est penché sur l’évolution sémantique du terme au 17e siècle rappelle les nombreux adjectifs, en français comme en italien et en espagnol, où le suffixe -esque et ses équivalents témoignent d’une connotation affective et souvent péjorative lorsqu’ils désignent des modes, des caractères ou des façons de vivre [10]. Le Dictionnaire historique de la langue française confirme que le suffixe français ‑esque est tiré de l’italien ‑esco, issu du latin ‑iscus, qui dérive lui-même de la forme germanique –isk [11]. « Suffixe formateur, selon le TLF, d’adjectifs dérivés de noms communs, de noms propres et d’adjectifs qui indiquent une ressemblance, une manière d’être ou d’agir dont on accuse l’originalité dans un sens plus ou moins péjoratif ou laudatif [12] », il a permis de former en français des adjectifs aussi connus que grotesque et livresque, mais aussi juponesque et dévorantesque (attestés chez Balzac), tourdeforcesque (utilisé par Verlaine), vaticanesque,  bougresque, forfantesque, cannibalesque, porchesque, et priapesque, sans oublier cortigianesque, critiqué par Chapelain. Par rapport aux suffixes en concurrence comme –ien ou –ique, la connotation péjorative apparaît nettement lorsque l’on oppose philosophique à philosophesque, hugolien à hugolesque. Les dictionnaires consultés insistent sur la vitalité du suffixe ‑esque encore de nos jours pour former, à l’instar d’ubuesque, des dérivés de noms propres devenus populaires par l’art, la politique ou les médias, qui en soulignent, dans les termes du TLF, l’originalité ou la bizarrerie. Fin février 2003, les moteurs de recherche signalaient 27 occurrences de raffarinesque…

Pour en revenir à romanesque, l’acception romaine attestée chez Du Bellay n’est plus vraiment en usage et ne semble avoir guère de lien avec le réseau sémantique qui nous préoccupe, dérivé quant à lui de roman en tant que genre littéraire. Les premières occurrences connues se rencontrent chez Sorel, dans Le Berger extravagant (1627) : « ie ne parle que de la sottise que vous fistes d’aller accoster vn gros rustique en termes Poëtiques et Romanesques [13] » explique Clarimond à Lysis. Termes Romanesques désigne ici clairement un langage tel qu’on le rencontre dans la forme du roman dont Sorel instruit le procès et qu’il rend responsable, dans son « Anti-roman », des bizarreries bucoliques de son protagoniste [14]. C’est le langage que Lysis doit sinon désapprendre, du moins mettre à distance et autocensurer au terme de son parcours : « Il n’en dit que fort peu de chose, parce que Clarimond luy auoit defendu de tenir des propos inutiles quand il seroit en compagnie, de peur que par mesgarde il ne laschast quelqu’vn de ses anciens discours romanesques. [15]  » Le sens n’est plus le même lorsque Sorel fait dire à son personnage, toujours dans Le Berger extravagant : « ô que l'auanture que i'ay couruë est agreable, & que c'est vne chose bien Romanesque d'auoir couché sur la dure ! [16]  » On constate ici un déplacement du terme de la tradition littéraire vers le type de situations qu’elle exploite ou qui pourraient figurer dans un roman. L’usage que Sorel fait de l’adjectif accrédite la thèse de Werner Krauss qui soutenait dès 1937 que le détachement de la notion de « romanesque » du genre dont elle dérive accompagne l’avancée du roman [17]. Tout ce qui sort de l’ordinaire, qui se singularise par les péripéties et frappe l’imagination par des rebondissements inattendus ou par l’héroïsme des acteurs sera régulièrement qualifié de « romanesque  ». Le mot s’applique rapidement à tout ce qui s’éloigne d’une certaine normalité ou réalité quotidienne et désigne déjà chez Molière une propension à se forger de la vie et en particulier des rapports amoureux des idées erronées, fantasques ou idéalisantes,  comme le montre un vers de l’Étourdi, de 1653. Lorsque Lélie, qui est follement amoureux de Célie, esclave de Truffaldin, s’imagine que ses traits comme son discours témoignent, chez la captive, d’une noble naissance, son fidèle serviteur Mascarille interrompt ses envolées lyriques : « Vous êtes romanesque avecque vos chimères. [18]  »

L’adjectif et le substantif romanesque serviront très souvent à désigner les êtres ou les personnages enclins à refuser le principe de réalité, à se complaire dans ce que nous appelons aujourd’hui le phantasme et à attendre désespérément de la vie autre chose que la banalité que le sort réserve au commun des mortels. Ce sens du terme est demeuré très vivant et il explique le nom d’une pièce assez médiocre d’Edmond Rostand, précisément intitulée Les Romanesques (1894), où l’auteur de Cyrano de Bergerac a beau jeu de se moquer des jeunes filles exaltées comme Sylvette qui rêvent d’être enlevées et des jeunes gens comme Percinet, son amoureux, pour qui le mariage n’a de prix que s’ils doivent affronter des haines claniques et se transformer en Roméo. Lorsque Bergamin, son père, fait mine de lui proposer un mariage de raison, Percinet répond :

  « Eh bien, non, non mon père ! Je jure…sur ce mur – qui m’entend, je l’espère ! Que je me marierai si romanesquement, Que l’on n’aura jamais vu dans aucun roman Quelque chose de plus follement romanesque ! [19]  »

Seulement voilà. Bergamin et Pasquinot, le père de Sylvette, sont de vieux complices et comme ils souhaitent de longue date unir leurs enfants, ils ont inventé de toutes pièces une hostilité entre leurs familles, destinée à rendre l’union qu’il projettent plus attrayante. Le complot a réussi et Sylvette et Pasquinet sont follement amoureux. Leurs pères vont jusqu’à mettre en scène une fausse tentative de rapt qui comble les rêves de nos jeunes amoureux, mais provoque la rupture – temporaire – de leurs fiançailles lorsqu’elle est révélée. Toujours fidèle à ses rêves, Sylvette s’apprête alors à suivre Straforel, le faux spadassin engagé par son père, reconverti en marquis d’Astafiorquercita : « A tout prix, maintenant, j’en veux du romanesque ! / Qu’il vienne, ce monsieur ! – déjà je l’aime presque ! –[20]  » Mais le happy end n’est pas loin et Sylvette, enfin mûrie et devenue raisonnable, délivre à Percinet le message idéologique de la pièce :

«  Vois-tu, la poésie est au cœur des amants : Elle n’émane pas des seuls événements. [21] »

Les êtres fantasques qui habitent le pays des songes sont aussi des sujets de prédilection du roman et il arrive que leur penchant néfaste soit présenté comme la conséquence directe d’un abus de fictions narratives : pour reprendre des exemples canoniques où notre terme n’apparaît pas directement, le caractère romanesque de Don Quichotte est clairement attribué à l’effet pernicieux des romans de chevalerie, de même que la « poussière des vieux cabinets de lecture » et les romances qu’elle chante en classe de musique laissent « entrevoir » à Emma Bovary « l’attirante fantasmagorie des réalités sentimentales [22] ». Mais c’est dans Der Sieg der Natur über die Schwärmerey, oder die Abentheuer des Don Sylvio von Rosalva (« Le Triomphe de la nature sur l’exaltation, ou les aventures de Don Sylvio de Rosalva », 1764, 1795), le premier roman de Wieland, que la pathogenèse littéraire de la Schwärmerei, de l’exaltation romanesque, est la plus clairement évoquée. Don Sylvio von Rosalva, le héros éponyme du texte, est un descendant direct du chevalier la Manche, d’ailleurs plusieurs fois cité dans le livre. Après la mort de son père, sa tante Donna [sic] Mencia se charge de la formation, essentiellement livresque, du jeune orphelin. Elle se propose d’en faire un « gentilhomme accompli » d’après les idéaux qu’elle a puisés dans Clélie et Le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry. Son neveu s’avère particulièrement perméable aux modèles héroïco-galants qui lui sont transmis et le troisième chapitre du roman, intitulé « Considérations psychologiques  », propose quelques réflexions remarquables sur l’effet que les fables peuvent exercer sur les tempéraments prédisposés au fantasme  :

« On s’étonnera moins encore que l’imagination de Don Sylvio ait dû recevoir un élan étrange d’une aussi merveilleuse éducation quand nous aurons dit que, parmi les qualités dont la nature l’avait surabondamment doté, se montraient une sensibilité exceptionnelle et – les deux étant directement liés – un penchant marqué à la tendresse. [23] »

Lorsqu’ils vivent dans la monotonie de la campagne, explique le narrateur, les êtres réceptifs aux représentations susceptibles d’embraser le cœur, ont tendance à confondre le merveilleux et le naturel, les chimères et la vérité. Ainsi constitué, Don Sylvio prend les personnages de fiction pour des êtres réels et la superstition du pays l’encourage également dans cette voie. Conclusion :

«  Si nous prenons en compte l’ensemble des circonstances qui se joignirent pour donner toute sa vigueur à l’éducation romanesque de notre jeune chevalier, nous n’aurons aucun mal à comprendre qu’il ne lui fallut que quelques pas supplémentaires pour développer des lubies si aventureuses qu’elles ne sont jamais entrées dans un cerveau saisi de vertige depuis l’époque de son concitoyen, le chevalier de la Manche. [24] »

Les livres qui vont égarer Don Sylvio, ce sont les contes de fées. Bientôt il s’imagine qu’il doit libérer sa Dulcinée, transformée en papillon par un terrible maléfice. Lorsqu’il dort, fatigué par mille combats imaginaires, Donna Felicia, une jeune fille bien réelle, a le temps de contempler sa beauté adolescente et de s’éprendre de lui. Elle envoie sa servante Laura pour en savoir davantage sur le compte de Don Sylvio et apprendra « qu’il a effectivement quelque chose d’étrange et de romanesque [25]  ». « L’élan romanesque de son imagination [26] » séduit Donna Felicia et l’inquiète en même temps. Il faudra toute une catharsis, passablement littéraire, pour en guérir son bien-aimé. Don Gabriel, le frère de la Belle, invente à cet effet l’« Histoire du Prince Biribinker », une sorte de parodie des contes de fée qui finira par le ramener à la femme réelle et à la société.

Avant la Révolution, plus on s’éloigne de la réalité, et plus l’adjectif romanesque devient donc synonyme de fabuleux, fantastique et merveilleux. Ce sont précisément les traits qui sont propres à l’épopée, au roman de chevalerie et au roman d’aventures et qui vont entrer en conflit avec des idéaux classiques, mais modernes à l’époque, comme celui de la vraisemblance. Le qualificatif romanesque s’applique dès lors à un corpus, à des tendances plus anciennes. Il joue le même rôle que romantic en Angleterre qui émerge au milieu du 17e siècle pour marquer une distance par rapport aux histoires de géants, de dragons et autres inventions extravagantes du même acabit [27]. Comme le souligne François Jost, « un même vocable qui, cent ans plus tard, servira de signe de ralliement à une génération progressiste, commence par désigner un art démodé [28]  ». En Allemagne, les adjectifs romanesk et romanhaft ont généralement la même fonction, comme il ressort à la fois de l’exemple de Wieland et d’une définition de romanhaft formulée en 1771 par Johann Georg Sulzer dans la Allgemeine Theorie der schönen Künste :

«  On appelle ainsi ce qui, dans le contenu, le ton ou l’expression, porte le caractère qui prévalait dans les anciens romans, comme l’aventureux, la bizarrerie dans les actions, les événements et les sentiments. Le naturel est à peu près exactement l’opposé du romanesque. [29]  »

Il faut rapprocher l’appréciation de Sulzer d’une note de l’étude que Kant publie en 1764 Sur le sentiment du beau et du sublime  :

« Dans la nature humaine, on ne trouve jamais de qualités louables sans qu’en existent en même temps des formes dégénérées qui, par d’infinies gradations, vont jusqu’au défaut le plus extrême. Le caractère du sublime de terreur, quand il devient tout à fait contraire à la nature, est aventureux* [...]

* Dans la mesure où la sublimité ou la beauté dépassent la commune mesure, on a coutume de les qualifier de romanesques. [30]  »

Prise isolément, cette caractérisation du romanesque comme excès du beau ou du sublime n’a rien de négatif, mais dans le contexte immédiat des phrases qui appellent l’apostille, sa valeur péjorative apparaît clairement.

Pour en revenir au 17e siècle et à la situation française,  la critique d’un certain romanesque et l’utilisation péjorative du terme, chez Pierre Nicole en particulier, coexiste, avec une valorisation qu’illustre la correspondance de Mme de Sévigné. Tout comme l’adverbe romanesquement, l’adjectif et le substantif reviennent souvent sous sa plume, dans une acception noble et élevée, par exemple lorsqu’elle évoque « un des plus braves hommes du monde, d’une valeur romanesque, dont j’ai ouï parler mille fois à Bussy [31]  » ou lorsqu’elle écrit : « Mme de Moussy ne me paraît pas en chercher d’autre que celui d’être la plus admirable et la plus romanesque personne du monde. [32] » Comme le souligne Werner Krauss à propos de Mme de Sévigné, « romanesque » se rapproche chez elle de « charisme [33] » et j’ajouterais volontiers de cette « aura » chère à Walter Benjamin.

Ce sens presque sublime ne doit pas faire oublier l’acception plus courante et parfois triviale du terme qui, appliquée d’une façon plus générale aux textes de fiction, met l’accent sur un fond de commerce de coups de théâtre, d’événements extraordinaires voire poétiques et de leur accumulation qui répond à la demande d’un public parfois déprécié par ceux qui font mine de la satisfaire. Le théâtre, la comédie peut ainsi devenir « romanesque » ou romanzesca puisque la signification du terme italien recoupe très largement celle de son équivalent français jusque dans les années 1770. Il est temps de faire un détour du côté italien et d’évoquer la présentation que Goldoni fait, en 1755, de sa pièce L’Incognita, crée quatre ans auparavant lors du carnaval de Venise :

«  Cette comédie que je publie aujourd’hui avec les gravures est peut-être différente de toutes mes autres pièces. Elle est romanesque réalisée par moi non par une inclination que j’aurais pour un tel genre de composition théâtrale, dont je serais plutôt l’ennemi, mais par un pur caprice [...] Des gens heureux ont réussi ce genre de compositions, entièrement extraites d’un roman connu et quoique je condamnasse en moi-même le principe de les réintroduire sur nos scènes, l’objectif m’a séduit d’en donner une moi aussi au peuple qui se satisfait parfois du [caractère] surprenant. Je ne voulais pas, ce faisant, perdre un temps excessif avec la lecture de quelque roman, mais, concevant une fable romanesque, j’ai tissé avec de telles images la présente comédie, qui est si pleine d’actions et de péripéties qu’elle pourrait servir de sommaire à un petit roman d’au moins quatre volumes. [...]

Il s’agit donc [...] d’une comédie romanesque, parce qu’elle inclut dans un minimum d’heures une multitude de péripéties inattendues et étranges, voire surprenantes ; pourtant j’ai dû les conduire de sorte qu’elles ne puissent pas se dire impossibles ou invraisemblables, mais seulement produites par une combinaison extraordinaire. Si j’avais rédigé ou lu au préalable un roman, et réuni les actions qu’on y trouve disséminées dans une comédie, je serais moi aussi tombé par nécessité dans l’impossible, ou du moins dans la confusion. [34]  »

Manifestement, ce texte de Goldoni est un témoignage capital de l’autonomisation de romanzesco comme catégorie esthétique par rapport à la forme littéraire dont le terme est issu. Non seulement il n’est pas nécessaire, pour donner un caractère romanesque à une comédie, de l’extraire d’un roman, mais cette opération réussit mieux si les coups de théâtre et les événements surprenants font l’objet d’une élaboration fantasmatique ad hoc. Autonomisation ne signifie pas pour autant indépendance puisque la « favola romanzesca  » imaginée par Goldoni aurait pu, à ses yeux, fournir la trame d’un « romanzetto di quattro tomi almeno » à cause de la quantité des péripéties. L’auteur de l’Incognita identifie donc le romanesque à la seule « densité des événements », pour reprendre l’expression du Vocabulaire d’Esthétique. L’extensibilité indéfinie ne saurait valoir pour la scène, à cause des contraintes inhérentes à la représentation. Elle semble bien distinguer, pour Goldoni, le romanesque théâtral du romanesque narratif et interdire l’adaptation scénique d’un roman préexistant, vouée, selon lui, à l’impossible ou à l’invraisemblable. 

Un certain lien avec le genre romanesque subsiste également lorsque Benedetto Croce applique la notion, bien plus tard, à quelques pièces de Shakespeare qu’il étudie sous le titre « La nostalgie du romanesque [35] ». Les motifs et situations liés à la substitution, au travestissement, aux retrouvailles inespérés, au songe et à la magie définissent un romanesque souvent « idyllique », issu de sources livresques comme les romans antiques et médiévaux, qui distinguent pour le philosophe italien Le Marchand de Venise, Les deux gentilshommes de Vérone, Beaucoup de bruit pour rien ou Comme il vous plaira des pièces du dramaturge inspirés par l’Histoire. Il insiste sur l’atmosphère très particulière de ces œuvres :

«  Sur les figures des drames romanesques se répand ainsi un sens d’irréalité, c’est-à-dire non pas carrément de fausseté, mais plutôt de cette irréalité qui provient du jeu de l’imagination, comme il arrive lorsqu’on relate un conte de fée avec la conscience qu’il est un conte de fée, mais qu’on n’en éprouve pas moins de délices à faire défiler à nouveau le petit roi, la belle, l’ogre et la fée.[...] Le romanesque n’a aucune intention de finir dans le tortueux ou le grave des pensées : il veut solliciter l’imagination, tout en la conservant agile et joyeuse, et la rendre contente. [36]  »

De toute évidence, le romanesque idyllique que Benedetto Croce retrouve ici dans un certain théâtre de Shakespeare, se confond largement avec le merveilleux.

Du romanesque au romantique

Alors même que Goldoni s’autorise du goût populaire pour justifier l’écart romanesque qui distingue l’Incognita du reste de sa production, Diderot s’attache dans son Discours sur la poésie dramatique, publié en 1758 avec le Père de famille, à définir la mesure du merveilleux compatible avec la comédie. Le poète s’empare selon lui des combinaisons extraordinaires d’événements qui se rencontrent dans l’ordre naturel et en imagine d’autres, mais dans les limites du vraisemblable. Comme le poète comique ne peut s’appuyer sur l’histoire, Diderot montre que les limites du vraisemblable sont plus étroites pour lui que pour le poète tragique. Conclusion  : « il lui est donc moins permis de s’appuyer sur la simultanéité des événements [37]  ». On comprend mieux la réponse qu’il donne au questionneur dont il se forge un interlocuteur invisible dans le Discours :

«“  Qu’est-ce donc que le vernis romanesque, l’interroge celui-ci, qu’on reproche à quelques-unes de nos pièces ? ”

Un ouvrage sera romanesque, répond Diderot, si le merveilleux naît de la simultanéité des événements ; si l’on y voit les dieux ou les hommes trop méchants, ou trop bons ; si les choses et les caractères y diffèrent trop de ce que l’expérience ou l’histoire nous les montre ; et surtout si l’enchaînement des événements y est trop extraordinaire et trop compliqué. [38]  »

«  Romanesque » est ici clairement péjoratif et désigne, dans le genre dramatique, une faiblesse esthétique due à des excès du côté de la morale et / ou des péripéties, incompatibles avec la vraisemblance. Par rapport à Goldoni, la définition de Diderot s’enrichit d’un deuxième trait du romanesque retenu par le Vocabulaire d’Esthétique, puis Jean-Marie Schaeffer qui le caractérise en termes sémiologiques : « La représentation des typologies actantielles, physiques et morales par leurs extrêmes, du côté du pôle positif comme du côté du pôle négatif. [39]  » A lire le passage de Diderot, on peut estimer qu’il suffirait d’une mesure pour mettre le genre dramatique à l’abri de ce qualificatif un peu infamant. Le chapitre 13 du Discours sur la poésie dramatique, où son auteur récuse le contraste excessif des caractères, montre cependant qu’il n’en est rien, du moins en ce qui concerne les péripéties :

«  Mais n’est-ce pas assez du vernis romanesque malheureusement attaché au genre dramatique par la nécessité de n’imiter l’ordre général des choses que dans les cas où il s’est plu à combiner des incidents extraordinaires, sans ajouter encore à ce vernis si opposé à l’illusion, un choix de caractères qui ne se trouvent presque jamais rassemblés  ? [40] »

Le « vernis romanesque » est donc intrinsèquement constitutif du genre dramatique et tout le propos de Diderot, dans cette apologie du Père de famille qu’est le Discours sur la poésie dramatique est d’établir que le menuisier en a usé avec une circonspection maximale.

On remarquera que Rousseau se prévaut de critères esthétiques très proches de ceux mis en avant par Diderot – limitation des péripéties et de la méchanceté des personnages – lorsqu’il vante dans le livre XI des Confessions l’originalité de son grand roman  et sa supériorité par rapport à Clarisse Harlowe:

«  La chose qu’on y a le moins vue et qui en fera toujours un ouvrage unique est la simplicité du sujet et la chaîne de l’intérest qui concentré entre trois personnes se soutient durant six volumes sans épisode, sans avanture romanesque, sans méchanceté d’aucune espéce, ni dans les personnages, ni dans les actions. Diderot a fait de grands complimens à Richardson sur la prodigieuse variété de ses tableaux et sur la multitude de ses personnages. Richardson a en effet le mérite de les avoir tous bien caractérisés : mais quant à leur nombre il a cela de commun avec les plus insipides romanciers qui suppléent à la stérilité de leurs idées à force de personnages et d’avantures. Il est aisé de réveiller l’attention en présentant incessamment et des evenemens inouis et de nouveaux visages qui passent comme les figures de la lanterne magique : mais de soutenir toujours cette attention sur les mêmes objets et sans aventures merveilleuses, cela certainement est plus difficile, et si, toute chose égale, la simplicité du sujet ajoute à la beauté de l’ouvrage, les Romans de Richardson, supérieurs en tant d’autres choses, ne sauroient, sur cet article, entrer en paralléle avec le mien. [41]  »

S’il n’y a pas, comme l’explique Rousseau, d’avanture romanesque dans la La Nouvelle Héloïse, c’est qu’il a pris soin d’en exclure « Les Amours de Milord Edouard Bostom » qui en étaient truffés et que Les Confessions appellent d’ailleurs les avantures Mylord Edouard. En a-t-il brûlé l’original, comme il l’affirme dans son autobiographie? Probablement. Mais il a pris soin d’en produire un « extrait » – ce sont ses termes – destiné à enrichir le seul exemplaire calligraphié de la Copie réalisée pour la Maréchale de Luxembourg. Les premières lignes du Cahier particulier qu’il adresse à la princesse, avec la conviction de l’enchanter, précisent les raisons qui ont amené Rousseau à n’en pas inclure le texte dans les Lettres de deux amans :

«  Les bizarres aventures de Milord Edouard à Rome, étoient trop romanesques pour pouvoir être mêlées avec celles de Julie, sans en gâter la simplicité. Je me contenterai donc d’en extraire et abréger ici ce qui sert à l’intelligence de deux ou trois lettres où il en est question. [42] »

«  Une marquise romaine d’un caractère très odieux [43] » qui se fait passer pour veuve afin de mieux séduire un lord anglais trop stoïque pour poursuivre, quand il le découvre, un commerce adultère et qui cherche elle-même « une jeune personne facile et sûre [44]  » pour les besoins sexuels de l’amant qui lui demeure passionnément attaché ; une prostituée vertueuse, Lauretta Pisana, qui découvre l’amour véritable à travers Milord Édouard, abandonne son métier et se réfugie dans un cloître pour gagner son estime ; un homme désormais partagé pour de longues années entre deux femmes si opposées et que son ancienne maîtresse, déchaînée, tente d’assassiner  ; voilà bien l’embryon d’un « roman noir », comme l’a fait remarquer Bernard Guyon [45]. Voilà les ingrédients que Rousseau juge, finalement, inconciliables, avec son roman épistolaire.

Les aventures de Mylord Edouard « [...] en auraient gâté, [dit-il encore dans Les Confessions] la touchante simplicité. » (Confessions p. 524)

En les sacrifiant, Rousseau procède donc délibérément à une expurgation du romanesque [46], du moins en ce qui concerne le contraste moral des caractères et l’accumulation des péripéties. Car « la prédominance de l’affectif, l’intensité et la noblesse des sentiments ; le grand rôle de l’amour, mais aussi de l’amitié  » qui était, pour le Vocabulaire d’Esthétique, le premier critère du romanesque, en sort renforcé. Le bénéfice de la censure des « Amours de Milord Edouard Bostom » est donc double. Elle rend possible cet intérêt qui « n’est point excité par des noirceurs, par des crimes, ni mélé du tourment de haïr [47] », dont le pseudo-éditeur se félicite dans la note finale du roman. Elle permet aussi de conserver un caractère un peu obscur au projet ourdi par Saint-Preux pour empêcher que Lauretta Pisana ne devienne Ladi Bostom et qu’il fait entrevoir, sous le sceau du secret, à Wolmar. Et cette énigmaticité est soulignée par Rousseau lui-même qui en fait une clef pour le type de lecture active qu’il appelle de ses vœux et que Yannick Séité a magistralement analysée [48]. Elle est soulignée en bas de page :

«  * Pour bien entendre cette lettre et la 3e de la VIe partie, il faudroit savoir les avantures de Milord Edouard ; et j’avois d’abord résolu de les ajoûter à ce récueil. En y repensant, je n’ai pu me resoudre à gâter la simplicité de l’histoire par le romanesque de la sienne. Il vaut mieux laisser quelque choses à deviner au lecteur. [49]  »

Il y a donc autocensure, expurgation du romanesque et Rousseau n’en conserve que les touches vagues et indispensables pour évoquer la suprême épreuve que Milord Edouard a réservée à Saint-Preux  : faire échouer ses projets de mariage avec la prostituée vertueuse, même si cet échec doit éloigner pour Saint-Preux la perspective d’une vie commune à Clarens où le Lord prétend s’établir pour mettre sa future épouse à l’abri des ragots londoniens. On se souvient qu’à la satisfaction d’Édouard l’ancien séducteur se transforme en avocat roué de l’ordre établi puisqu’il arrache à l’insu de son fiancé un renoncement écrit et définitif à Lauretta qui s’engage à prendre le voile. La vertu peut triompher grâce à un dénouement, à la fois cornélien et romanesque, qui jette malgré tout une ombre sur les qualités morales des personnages dont Rousseau s’enorgueillit : c’est un curieux triomphe de la vertu qui passe par la feinte de Milord Édouard, et la machination de Saint-Preux qui « dicte [50] » sa conduite à Lauretta et la force à s’immoler.

[[J’ouvre ici une parenthèse pour parler des limites de frantext que j’évoquais tout à l’heure. La Nouvelle Héloïse fait évidemment partie du corpus de la base de données de l’INALF, mais les deux derniers passages que je viens de citer n’apparaissent à aucun moment parmi les 1400 occurrences du terme « romanesque » que frantext a extraites à ma demande. Pourquoi ? Je n’ai pas encore interrogé l’INALF à ce sujet, mais j’ai le sentiment que le logiciel de reconnaissance des caractères utilisé lors de la saisie des textes n’était pas en mesure de prendre en compte les notes, ce qui limite sévèrement la validité de la base. Si l’on se fie à frantext, on risque d’affirmer qu’un terme est absent d’un sous–ensemble du corpus, alors qu’il apparaît en réalité dans certaines notes. Leur non-prise en compte, leur censure technique (ou délibérée, je l’ignore) la rend évidemment largement inopérante pour mes recherches sur le fiction annotée. ]]]

Les occurrences de romanesque dans le texte des Confessions et des Rêveries sont en revanche listées sans problème, ce qui m’a facilité la constation suivante :

Il convient de distinguer, chez Rousseau, trois valeurs différentes de l’adjectif romanesque, selon qu’il s’applique à un texte, comme nous venons de le voir, à un être humain ou à un paysage. Les connotations n’en sont pas du tout les mêmes. L’être humain qui a pour ainsi dire le monopole de cette caractérisation, c’est bien entendu Jean-Jacques lui-même et il est significatif qu’elle apparaisse, dans le premier livre des Confessions, au terme de l’analyse de la célèbre fessée infligée par Mlle Lambercier  et des conséquences de ce châtiment, c’est-à-dire les penchants masochistes, découverts et renforcés à cette occasion, que Rousseau n’osera avouer à ses maîtresses :

«  J’ai donc fort peu possédé, mais je n’ai laissé de jouir beaucoup à ma maniére ; c’est à dire, par l’imagination. Voila comment mes sens, d’accord avec mon humeur timide et mon esprit romanesque, m’ont conservé des sentiments purs et des mœurs honnêtes, par les mêmes gouts qui, peutêtre avec un peu plus d’effronterie, m’auroient plongé dans les plus brutales voluptés. [51]  »

L’empire de l’imagination dans le rapport avec le sexe, l’autre sexe et la sexualité, modifie insensiblement l’acception du terme illustrée par les vers de Molière cités plus haut. Le romanesque confessé, c’est le fantasme conscient, le rêve diurne à caractère érotique et le livre dixième de l’autobiographie nous montre qu’il n’est pas toujours sans dangers. Rousseau est en effet sensible aux charmes de Madame de Boufflers dont il ignore qu’elle est la maîtresse d’un de ses bienfaiteurs, le Prince de Conti :

«  Elle me venoit voir assez souvent avec le Chevalier de Lorenzy. Elle étoit belle et jeune encore, elle affectoit l’esprit Romain, et moi je l’eus toujours Romanesque ; cela se tenoit d’assez près. Je faillis me prendre ; je crois qu’elle le vit. [52] »

Rousseau non seulement assume, mais revendique sa disposition romanesque et l’adjectif est clairement valorisé. Son sens le plus positif est cependant réservé, dans la « Cinquiéme promenade » des Rêveries, à l’évocation de l’Isle de Saint-Pierre et du lac de Bienne dont il admire « les romanesques rivages qui bordoient une vaste étendue d’eau claire et cristalline [53] ». Au début de la promenade, l’auteur a recours à une épithète différente pour décrire le même spectacle qui s’offre à sa vue : « Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et romantiques que celle du lac de Genève, parce que les rochers et les bois y bordent l’eau de plus près  ; mais elle ne sont pas moins riantes. [54]  » Il s’agit évidemment d’une phrase très célèbre, témoin clef de l’apparition du mot « romantique » en France, « lancé [55] » par ce texte de Rousseau. Désormais romantique, importé de l’anglais, va entrer en concurrence avec romanesque (et pittoresque), d’abord pour évoquer des paysages bien précis. Il est donc important d’observer la distinction que certains auteurs font entre les deux termes qui servent encore de synonymes à Rousseau. Dans le discours qui précède, en 1776, sa traduction de Shakespeare, Le Tourneur se demande, en note, comment caractériser :

«  une vue, une scène d’objet, un paysage qui attachent les yeux et captivent l’imagination. Si cette sensation éveille dans l’ame émue des affections tendres et mélancoliques, alors ces deux mots, Romanesque et Pittoresque, ne suffisent pas pour la rendre. Le premier, très souvent pris en mauvaise part, est alors synonyme de chimérique et de fabuleux : il signifie à la lettre, un objet de Roman, qui n’existe que dans le pays de la féerie, dans les rêves bisarres de l’imagination, et ne se trouve point dans la nature. [...] Le mot Anglois est plus heureux et plus énergique : En même tems qu’il renferme l’idée de ces parties groupées d’une manière neuve et variée, propres à étonner les sens, il porte de plus dans l’âme le sentiment de l’émotion douce et tendre qui naît à leur vue, et joint ensemble les effets physiques et moraux de la perspective….Les tableaux de Salvator Rosa, quelques sites des Alpes, plusieurs Jardins et Campagnes de l’Angleterre ne sont point Romanesques ; mais on peut dire qu’ils sont plus que pittoresques, c’est-à-dire touchans et Romantiques. [56]  »

Romantique est donc ici un superlatif de pittoresque et il s’oppose au côté irréel, artificiel et surtout fantasmatique de romanesque par sa capacité à toucher notre corde sensible. On retrouve la même dichotomie outre-Rhin où romantisch a été naturalisé un siècle plus tôt, même s’il ne suscite pas l’enthousiasme du puriste Campe, qui dresse un inventaire des emprunts étrangers  :

«  Romanesque et Romantique…l’usage linguistique les a distingués. Le premier est susceptible d’être traduit en allemand parfois par aventureux, parfois par artificiel et exagéré, parfois par incroyable, le second par lugubre. [57] »

En Italie, le mot anglais qui est déjà devenu un concept esthétique à part entière chez Goethe, a plus de mal à pénétrer. Encore en 1813, le Spettatore italiano se sent obligé d’en préciser le sens dans une note : « Un peu plus extravagant et capricieux que romanesque [58].  »

A cette époque, les écrivains français affichent clairement leurs préférences : « On sent le Romantique, écrit Louis Sébastien Mercier, on ne le définit point ; le romanesque, dans les arts, est faux et bizarre auprès de lui [59]  » et Senancour ira plus loin dans Obermann : «  Le romanesque séduit les imaginations vives et fleuries ; le romantique suffit seul aux âmes profondes, à la véritable sensibilité. [60] » Alexis François en a conclu le premier que la dépréciation de romanesque coïncide avec l’avènement de romantique [61], mais ces termes ne s’opposent pas nécessairement. Le romantique peut même inclure le romanesque, comme dans le cours d’esthétique que Hegel professe à quatre reprises à Berlin entre 1820 et 1829. On sait que « le professeur des professeurs » n’a pas publié lui-même ces conférences publiques, mais que nous les connaissons à travers l’édition posthume établie par son disciple H.G. Hotho, qui demeure la base des éditions modernes. Un passage spécifique, intitulé Das Romanhafte, y est réservé au romanesque, présenté comme un moment de l’aventureux, dans la section sur « L’indépendance formelle des particularités individuelles » de la partie consacrée à la forme artistique romantique. Le romanesque est la troisième et dernière forme de l’aventureux et Hegel le comprend cette fois « au sens moderne du mot », par opposition au romanesque cervantin  :

«  Ce romanesque n’est autre chose que la chevalerie, cette fois prise au sérieux et devenue un contenu réel. La vie extérieure, jusqu’alors soumise aux caprices et vicissitudes du hasard, s’est transformée en un ordre sûr et stable, celui de la société bourgeoise et de l’État, de sorte que ce sont maintenant la police, les tribunaux, l’armée, le gouvernement qui ont pris la place des buts chimériques poursuivis par les chevaliers. [62]  »

Le romanesque moderne selon Hegel, c’est celui qu’incarne le héros des romans de formation qui doit finalement accommoder ses idéaux avec la « prose de la réalité ».

L’ouvrage que le Baron Ernest Seillière, membre de l’Institut, publie en 1920 se situe carrément aux antipodes de Senancour puisqu’il cherche à établir, en termes de filiation, Les Origines romanesques de la Morale et de la Politique romantiques. Rappelant que « Jean-Jacques s’était passionné pour le roman romanesque ou pour le roman ‘‘à grands sentiments’’[63]  », Ernest Seillière entend démontrer que « la conception romanesque de la nature humaine et de la vie [64] », serait à l’origine du « mysticisme rousseauiste ou romantisme  [65] ». Dans sa hantise de pourfendre le mysticisme romanesque et son héritage féministe, Seillière propose une interprétation du romantisme, expliqué par sa seule conception de l’amour, franchement réductrice, pour ne pas dire caricaturale. Il peut arguer de la prédilection de Rousseau pour L’Astrée et des lectures romanesques de sa jeunesse pour souligner la part urféenne de ses rêves diurnes et pour en faire un médiateur inconscient des valeurs héroïco-galantes chères aux bergers de Lignon. Prenant appui sur la pièce Le Typhon du dramaturge hongrois Melchior Lengyel (1880-1964), et les conflits intimes qu’y affronte un médecin japonais en Occident, Ernest Seillière oppose la société nippone « qui n’a pas élaboré de morale érotique [66]» à « cette conception érotico-affective ou romanesque de l’existence qu’ont élaborée nos pères [67]  ». Le Japon lui sert de contre-modèle dans la mesure où il incarne à ses yeux un impérialisme « viril » qui ne serait pas soumis au joug de l’ « Éternel féminin ». C’est à la genèse littéraire du sentiment amoureux en Occident, depuis la conception platonicienne de l’amour à ses répercussions dans le lyrisme courtois, la chanson de geste et la pastorale, que l’étude est essentiellement consacrée, afin de dénoncer les effets néfastes, pour l’avenir social, d’un « érotisme qui s’émancipe de tout frein » : « C’est le péril romanesque, rousseauiste et romantique : c’est le péril présent. [68]  » L’objectif du livre est donc profondément idéologique puisque l’ambition déclarée de Seillière est de faire entrevoir le rôle joué par Rousseau dans « la voie souterraine par laquelle l’érotisme romanesque [...] est venu déboucher dans ce mysticisme social dont le socialisme actuel est la forme extrême et que la démocratie contemporaine persiste à prendre pour point d’appui de son effort vers le pouvoir [69] ». L’entreprise peut faire sourire aujourd’hui, mais elle paraissait largement recevable à l’époque [70] où elle s’inscrit dans une série de publications antiromantiques dans le sillage de l’Action française, visant à délégitimer, en Rousseau, le penseur politique [71].

Observons, pour conclure cette partie, qu’il n’y a pas d’opposition non plus entre « romantique » et « romanesque »chez Stendhal. Notre terme revient à huit reprises dans De l’Amour et les connotations en sont toujours positives : « Une répartie imprévue qui me fait voir plus clairement une âme tendre, généreuse, ardente, ou, comme dit le vulgaire, romanesque*, et mettant au-dessus du bonheur des rois le simple plaisir de se promener seule avec son amant à minuit, dans un bois écarté, me donne aussi à rêver toute une nuit**. [72]  » Les romans de Beyle, si riches en aventures singulières, en actions héroïques qui nous tiennent constamment en haleine sont bien à l’image d’une profonde sympathie pour les âmes romanesques.

Le « roman romanesque » et sa structure fantasmatique

Pourtant ce n’est pas la Chartreuse de Parme, mais Consuelo que Barrès citera comme « le chef d’œuvre du roman romanesque  [73] ». Ce sont les frères Goncourt qui forgent cette expression dans leur Journal, en décembre 1860, alors qu’ils viennent de rencontrer Flaubert. A Madame Bovary, « le dernier mot du vrai dans le roman », mais aussi « le stéréoscope poussé à sa dernière illusion », une « œuvre qui peint aux yeux, bien plus qu’elle ne parle à l’âme [74] », ils opposent le récit célèbre qui était inclus dans les Études de la nature :

«  Le vrai, c’est le fond de tout art, c’est sa base et sa conscience. Mais pourquoi l’âme de l’esprit n’en est-elle pas complètement satisfaite ? Faudrait-il un alliage de faux pour qu’une œuvre circule comme chef-d’œuvre dans la postérité ? Qui fait que Paul et Virginie – ce roman romanesque, où je ne sens point le vrai, mais à tout moment l’imaginé des personnages, le rêvé des caractères – restera immortellement un chef d’œuvre, tandis que Madame Bovary, un livre plus fort de toute la force de la maturité à la jeunesse, de l’observation à l’imagination, [...] Madame Bovary, je le sens, restera un prodigieux effort et ne sera jamais un livre pareil, une sorte de Bible de l’imagination humaine ? Parce qu’il lui manque ce grain de faux, qui est peut-être l’idéal d’une œuvre ? [75]  »

Il y aurait, dans ce passage, un sujet de dissertation redoutable, tellement il est semé d’embûches, à commencer par la fortune inégale de Paul et Virginie qui a plutôt contredit le pronostic des diaristes. La question de la valeur de ce texte suppose, quant à elle, qu’on se hisse au niveau de l’étude que lui a consacrée Georges Benrekassa dans les Fables de la personne [76], c'est-à-dire qu’on prenne en compte les analyses de la valeur chez Marx et Saussure et qu’on dépasse les jugements à l’emporte pièce d’Étiemble qui a cru devoir étaler dans la Pléiade son mépris pour « les fades obscénités [77] » de Bernardin de Saint-Pierre.

On peut hasarder les remarques suivantes :

  1) Les Goncourt sont les premiers à faire de Madame Bovary un repoussoir du roman romanesque en mettant l’accent sur ses qualités visuelles et l’aspect descriptif, mais comme une limite qui « étouffe presque [78] » les sentiments et les passions des personnages et n’en fait que mieux ressortir la supériorité des œuvres pourvus d’un « grain de faux ». Nous verrons dans un instant ressurgir Flaubert dans la même dichotomie, lors d’un débat italien, un siècle plus tard, mais avec des signes inversés. Il sera l’idéal qu’on oppose à la sous-littérature.

2) Une caractéristique essentielle du « roman romanesque » que définissent ici les Goncourt, c’est « l’imaginé des personnages, le rêvé des caractères », ce qui veut bien dire, dans le langage de l’époque, leurs phantasmes qu’ils « sen[tent] » à tout moment dans Paul et Virginie. Le « roman romanesque », tel qu’ils le conçoivent, serait donc celui qui arrive mieux à transmettre au lecteur les phantasmes qui habitent ses personnages.

3) Flaubert n’a jamais caché ce qui l’éloigne d’une prose narrative qui fait son affaire des péripéties, mais cette recherche, sans fanatisme, ne l’empêche pas d’encourager des cadets qui ont choisi une voie différente :

«  Quant à mes goûts personnels, écrit-il à Feydeau le 2 juillet 1863, il s’assouvissent mieux, tu le sais, dans les livres de descriptions et d’analyse que dans ceux de drame ; mais ce n’est pas là ce que tu as voulu faire, point auquel le critique doit toujours se placer [...] Bref, ceci prouve que, pour arriver à édifier le lecteur par la seule peinture de la vie moderne, il faut avoir recours au romanesque. Il est vrai que tu l’as traité, le romanesque, avec une ingéniosité remarquable ; il a l’air non seulement probable, mais vrai. Ton livre est sympathique, tu es un malin. [79]  »

4) Avec le « grain de faux », que les Goncourt érigent, dans l’hypothèse finale, en « idéal de l’œuvre », nous sommes aux antipodes de l’esthétique d’Adorno, fondée sur la notion de « teneur de vérité  » [80]. De quoi s’agit-il, diraient les adversaires de Paul et Virginie, sinon de l’évocation idyllisante de la réalité sous les tropiques, construite avec des motifs de la pastorale dégradés en idéologèmes, d’une réalité à l’eau de rose comme la rêvent et la réclament les adeptes d’une certaine littérature de masse. La question n’est pas de savoir si ces catégories s’appliquent vraiment au roman de Bernardin de Saint-Pierre, mais de comprendre le sens des notions introduites par nos observateurs intrépides de la vie littéraire parisienne. Le « roman romanesque » aurait un « grain » ou un « alliage de faux » dans la mesure où il utilise les clichés qui suggèrent un monde plus poétique qu’il ne l’est, où la sexualité, éternellement virginale et toujours sublimée, ne menace jamais la vertu, même lorsqu’elle prend la forme d’un désir incestueux, où il n’y a pas de divorce entre le monde et l’ « imaginé des personnages, le rêvé des caractères », où le mythe peut s’écrire d’une communication sans médiation. La « Bible de l’imagination humaine » dont parlent les Goncourt est passablement féminine et c’est au cœur même des jeunes filles en fleurs que nous allons en retrouver la quintessence littéraire. Dans Devenir, le premier roman de Roger Martin du Gard publié en 1908, le jeune intellectuel André Mazerelles qui ne sera qu’un écrivain raté, se fait admettre dans les salons parisiens où des mères de famille, regroupées en « syndicats », organisent des soirées mondaines et dansantes afin de trouver un mari pour leurs filles. André sait gagner leur confiance en leur parlant « comme à des amis, non comme à des femmes [81] » :

«  Il apprit ainsi – ou crut apprendre – ce qu’étaient les jeunes filles de la bourgeoisie “bien pensante” au début du XXe siècle. [...] C’était presque toutes, à des nuances près, de petits cœurs puérils, gonflés, douloureux, qu’un rien de sympathie suffisait à bouleverser ; de petits cerveaux boursouflés de principes parasitaires, et bourrés d’idées toutes faites. Elles masquaient avec soin d’incroyables sensibilités, dormantes encore, ou déjà exaltées ; et, dans quelque coin qu’elles-mêmes ne visitaient pas, elles conservaient l’empreinte de quelque roman romanesque, illusoire, inachevé. [82]  »

Le « roman romanesque » qui se trouve esquissé dans ces textes des Goncourt et de Martin du Gard se distingue nettement du romanesque écarté par Rousseau et des figures de la « lanterne magique » qu’il lui associe. Pour schématiser à l’extrême, on pourrait parler du romanesque du roman de l’action et de l’aventure, plutôt masculin (les héritiers lointains, en somme, de l’Odyssée) qui s’oppose à un « roman romanesque » plutôt féminin, qui a récupéré les motifs, transformés en clichés, de L’Astrée. Un article d’Albert Thibaudet sur « Le roman de l’aventure », paru en 1919 dans la NRF, me conforte dans cette interprétation.

Thibaudet réagit à un article de La Revue des Deux Mondes qui avait salué « Un renouveau du roman romanesque ». C’est le titre d’un compte-rendu qu’André Beaumier publie au lendemain de la parution de Koenigsmark (1918) et de L’Atlantide (1919), pour vanter ces livres de Pierre Benoit : « Dans chacun de ces deux romans, il y a plus d’incidents que n’en subissent les héros de vingt épopées. Quelle abondance ! Il y a des amours, des meurtres et des rencontres comme les hasards ne sont pas, ordinairement, assez futés pour en produire. [83]  » Pour Beaumier, chantre du divertissement pur et d’une certaine frivolité, l’essor, positif, de cette production a une signification historique très claire : elle marque la fin d’une littérature trop chargée d’idées : « Nous avons eu de l’idéologie, de la psychologie et de l’observation, depuis longtemps, à profusion. Peut-être commencions-nous à nous ennuyer joliment de ce qu’on nous donnait, depuis des années. [84] »

L’analyse de Thibaudet, qui n’a pas oublié les efforts, bien antérieurs, de Marcel Prévost pour remettre à l’honneur le roman romanesque, est plus nuancée et, en un sens, comparatiste. Il oppose le roman d’aventure anglais dépourvu ou presque d’amour, comme Robinson ou Le Livre de la jungle, au roman d’aventure français idéalement représenté par Le Grand Meaulnes (1913) et qu’il appelle le « roman romanesque d’aventure. » A ses yeux, « les romans de M. Benoît sont moins des romans d’aventures que des romans romanesques, et tout roman d’aventures traité par un Français tendra au roman romanesque [85]  ». Voici la définition qu’il en donne :

  « Pratiquement, c’est le roman qui satisfait l’esprit romanesque, c’est-à-dire imagine et fait imaginer l’amour non comme venu d’un intérieur et mêlé à la trame ordinaire de la vie, mais descendu par un vol inattendu de la destinée, et prenant une figure extraordinaire et lyrique. L’Amadis de Gaulle et les romans de Mlle de Scudéry sont des romans romanesques. [...] Don Quichotte parodie le roman romanesque et Madame Bovary de même.

  Le roman romanesque a pour clientèle des femmes à l’imagination faible et à la vie froissée, des Emma Bovary. [86]  »

Si le roman romanesque a pu répondre à une demande plutôt féminine et le romanesque d’aventures à une demande plutôt masculine, la construction sociale des identités sexuelles, ou des « genres  » y est évidemment pour beaucoup, ainsi que ses répercussions sur l’inconscient. Les rêves diurnes des jeunes femmes, nous dit Freud dans « Le poète et les phantasmes » sont presque exclusivement érotiques : on peut dire qu’elles se racontent un « roman romanesque  ». Le caractère ambitieux est prédominant dans le rêve diurne de l’homme, mais Freud est le premier à préciser qu’à l’examiner de plus près « il s’avère habituellement que toutes ces actions héroïques ne sont accomplies, tous ces succès ne sont remportés, que pour plaire à une femme et être préféré par elle à d’autres hommes [87]. » Il me semble qu’on a là une définition exacte des romans de Zevaco ou des films de la série des James Bond qui ne sont peut-être que la version hollywoodienne et technologique des rêves diurnes du petit et du grand garçon. Si nous avons là, d’une certaine façon, deux pôles et deux traditions du « romanesque », l’une dérivée de l’épopée, l’autre du roman arthurien et de la pastorale, avec leur public respectif, il convient d’autant moins d’hypostasier un schématisme réducteur que Freud lui-même insiste sur les mélanges des rêveries érotiques et ambitieuses. Dans l’aboutissement littéraire du romanesque, c’est-à-dire dans Le Rouge et le Noir, nous les trouvons bien réunies. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que même dans la « Bibliothèque rose », l’aventure tient une place non négligeable : il suffit de lire Fantomette pour s’en convaincre.

Revenons maintenant à l’article de Thibaudet qui mérite aussi qu’on s’y arrête à un autre titre, parce qu’il formule une idée qui sera reprise et discutée par Bernard Pingaud :

  « D’autre part le romanesque [d’autre part, dit Thibaudet, parce qu’il l’oppose, au roman romanesque], c’est-à-dire un certain arrangement inattendu des événements analogue à celui qui est requis au théâtre, figure comme élément secondaire et utile dans le roman normal, ne disparaît même pas du roman que le réalisme construit contre le romanesque, comme [...] l’Éducation sentimentale. Tout roman sur l’amour, en tant qu’il montre l’amour tourmenté ou empêché, implique du romanesque, toute roman sur la vie, en tant qu’il la montre froissée ou accidentée, implique du romanesque [88].  »

Il y a là deux propositions importantes qu’il convient d’examiner  :

1) Le roman réaliste est construit contre le romanesque. L’exemple de La Nouvelle Héloïse, précédemment évoqué, nous conduit à modifier cette affirmation. Le phénomène est manifestement antérieur au réalisme. Peut-on, pour autant, généraliser comme le fait Bernard Pingaud lorsqu’il s’autorise de Thibaudet pour énoncer l’idée « que tous les grands romans — il faudrait peut-être parler de tous les romans — sont “bâtis contre le romanesque” [89]? » Il me semble que ni la paralittérature, ni les romans de Stendhal ou d’Alejo Carpentier ne vérifient cette hypothèse, même si l’on tient compte de la précision que Pingaud apporte dans la suite immédiate de la phrase : « mais que le vrai romanesque est issu de ce conflit même, et que par conséquent, il faut le chercher là où l’auteur croyait s’en être le plus sûrement délivré [90]. »

2) Il est impossible d’expurger le romanesque [91], même dans le roman d’analyse, même dans la « fiction de l’intime [92].  » Il y une raison à cela. Lorsqu’on pénètre dans le secret des personnages, qu’on ausculte les mouvements infinitésimaux de leur âme par la magie du monologue intérieur ou du discours indirect libre, on retrouve précisément le romanesque qui les habite, c’est-à-dire le phantasme. Else, cette créature tragique de Schnitzler, fille d’un avocat véreux et d’une mère prête à la sacrifier pour éviter la prison à son mari, imagine un instant de s’offrir au jeune médecin Paul s’il lui procure les 30000 écus nécessaires pour tirer son père de l’embarras. Elle s’avoue non sans lucidité : « Ça sort de nouveau d’un roman. La fille pure se vend pour le père adoré et en tire peut-être même du plaisir. [93]  » Dans un scénario ultérieur, la jeune fille voit son père déjà à la prison de Stein : « Une fois par mois, on peut lui rendre visite. J’y vais avec maman, en train, troisième classe. C’est que nous n’avons pas d’argent. Personne ne nous en prête. Logement exigu Lerchenfelderstrasse, comme chez la couturière que je suis allée voir, il y a dix ans. Nous lui apportons de quoi manger. Mais comment ? Nous n’avons rien nous-mêmes. L’oncle Victor nous versera une rente. Trois cents gulden par mois. Rudi sera chez Vanderhulst en Hollande [...] Les enfants du forçat ! Roman de Temme, en trois volumes. [94]  »

Depuis Thibaudet, l’expression « roman romanesque » a fait l’objet d’une lexicalisation progressive [95]. Parfois synonyme de « récit d’aventures », elle désigne désormais en français un sous-genre du roman et constitue une catégorie commode pour regrouper des textes parfois disparates. Encore inconnue des répertoires terminologiques, elle a fait une entrée remarquée dans les histoires de la littérature. Les premières œuvres qu’Alain Montandon analyse de façon plus détaillée dans son manuel récent sur Le Roman au XVIIIe siècle en Europe (1999), sont abordées dans une partie qui s’intitule « Le roman romanesque. Voyages et aventures ; robinsonnades, idylles et utopies [96] ». L’expression qui nous préoccupe n’est jamais définie, mais le complément titulaire, absent dans les autres chapitres, vient pallier ce manque. Il s’agit essentiellement d’œuvres dont la teneur romanesque provient d’un ailleurs, dans l’espace ou dans le temps, comme Robinson Crusoé, Les Voyages de Gulliver, L’An 2440 ou Paul et Virginie. Ce sont donc des éléments de contenu qui président à ce regroupement et qui le distinguent du chapitre consacré au roman épistolaire. Plutôt que de faire un mauvais procès à l’auteur de cette somme qui n’a guère d’équivalent, soulignons l’intérêt d’une structuration manifestement hétérogène  : elle permet d’apporter des éclairages différents sur La Nouvelle Héloïse et de l’aborder à la fois comme roman épistolaire et... comme « roman romanesque », dans sa version utopico-idylliaque.

On observera que l’expression « roman romanesque » a des équivalents dans les principales langues romanes, alors que ni *romanhafte Roman [97], ni *novelish novel ou *novelesque novel ne sont attestés. Faut-il en chercher l’explication, pour le domaine anglo-saxon, dans la fameuse opposition entre novel et romance, qui, elle, n’a d’équivalent ni dans les langues romanes, ni en allemand  [98]? Il faudrait une étude spécifique pour aborder les problèmes de traduction, redoutables, que pose le terme anglais romance, qui correspond, par certains côtés, au « roman romanesque ». Des arguments solides, exposés par Cornelius Crowley, le traducteur de L’Écriture profane, l’ont incité à transposer romance par « le romanesque [99]». Mais ce choix, valable pour les études de Frye, ne saurait être généralisé dans la mesure où romance est traditionnellement une sous-catégorie de la prose narrative, alors que « le romanesque  » peut s’appliquer non seulement à d’autres genres que le roman, mais concerner un personnage ou un « ethos ». Cela dit, il est certain que le poids de l’aventure, l’opposition au quotidien, l’importance de l’imagination et de la fantaisie rapprochent la romance du romanesque. C’est vrai également pour le rôle des péripéties et la « densité des événements » (Vocabulaire d’esthétique), comme il ressort de la conférence magistrale que David Lodge prête à Angelica dans Un tout petit monde (1984) :

«  La romance, par contraste [avec l’épopée et la tragédie], n’est pas structurée de cette façon. Elle n’a pas un seul point culminant mais plusieurs ; le plaisir dans ce type de texte vient, revient et revient encore. A peine le héros vient-il d’échapper à un drame dans sa vie qu’un autre se présente ; à peine un mystère a-t-il été résolu qu’un autre surgit ; à peine une aventure vient-elle de se terminer qu’une autre commence. Les questions narratives s’ouvrent et se referment, s’ouvrent et se referment, comme les contractions des muscles vaginaux pendant les rapports sexuels, et ce processus est par principe sans fin. Les romances les plus célèbres et les plus caractéristiques sont souvent inachevées – elles ne se terminent qu’avec l’épuisement de l’auteur, tout comme la capacité d’une femme à avoir des orgasmes est limitée  par son énergie physique. La romance est un orgasme à répétition. [100]  »

Pour revenir à l’expression « roman romanesque », elle apparaît en espagnol dans un article sur « La novela novelesca » que lui consacre Leopoldo Alas (1852-1901) et qu’il reprend dans son recueil Ensayos y revistas (1892). Le syntagme nominal qui nous préoccupe est fraîchement importé de Paris puisque Clarín alias Leopoldo Alas répond, non sans ressentiment patriotique, à une demande du journal madrilène El Heraldo qui se fait l’écho d’une discussion française sur le « roman romanesque ». Une lettre du jeune romancier Marcel Prévost (1862-1941) au Figaro du 12 mai 1891 avait déclenché une enquête du Gaulois qui publie du 14 au 22 mai 1891 une trentaine d’interviews sur le genre en question [101]. Selon Alas, Marcel Prévost entend romanesque « non pas dans le sens d’une fable plus ample, mais de l’expression plus grande de la vie du sentiment [102].  » Il est significatif que le critique madrilène donne immédiatement des exemples assez particuliers, comme l’épopée hindou Râmâyana. « L’histoire, poursuit-il, telle que l’écrivirent les grecs et quelques romains et telle que l’écrivent les historiens-artistes modernes, est le roman romanesque le plus admirable. [103]  » Renan, qu’il cite admirativement comme exemple, possède une valeur emblématique. En effet, ce qui intéresse Alas derrière l’effervescence autour du roman romanesque et qu’il acclame, c’est un nouvel idéalisme, une nouvelle religiosité qui serait en passe de succéder au positivisme. La majeure partie de son article est ainsi un hommage exalté aux « tendances spirituelles et religieuses de la nouvelle génération littéraire [104]  » qu’il défend, notamment, contre les attaques d’Emilia Pardo Bazán, avant de revenir au genre cher au Goncourt :

«  Qu’est-ce que tout cela a avoir avec le roman romanesque ? Si le roman romanesque ne veut dire rien d’autre qu’un nouveau goût des masses [...] si le roman romanesque signifie la restauration du disparate picaresque et pseudo-romantique, alors tout ce qui précède est hors sujet ; mais dans ce cas, je n’ai pas envie non plus de perdre mon temps en parlant de telles fadaises. Mais si le roman romanesque signifie une nouvelle protestation de cette jeunesse littéraire qui cherche l’idéalité ou la poésie, alors, loin d’avoir abandonné la question dans les paragraphes antérieurs, j’ai pénétré son noyau. Une fois démontré qu’il existe un nouveau désir, une nouvelle aspiration religieuse et philosophique, faut-il démontrer la légitimité d’une nouvelle littérature qui en serait l’expression artistique ? Oui, mille fois oui [...] Et la forme du roman qui s’attache à l’âme est particulièrement légitime, non pas à travers l’analyse, mais à travers sa beauté, la beauté de ses effusions nobles, qui ne sont pas moins belles que la lutte formidable de ses passions  ; le roman du sentiment est légitime et opportun. [105] »

Leopoldo Alas s’empresse d’ajouter qu’il ne plaide pas pour la sensiblerie ou l’eau de rose, mais pour l’équivalent espagnol d’une George Sand, pour l’apparition de « romanciers, poètes, psychologues sentimentaux et pieux [106]  ». Notons qu’il cite spontanément la même auteure que Barrès comme représentante idéale du « roman romanesque ». Son credo illustre cependant que l’adhésion au « roman romanesque » peut se faire pour des motifs divergeants, voire totalement opposés. La novela novelesca est en effet pour Alas l’expression certes poétique, mais aussi profondément idéologique, d’une restauration spirituelle en cours, tandis qu’André Beaumier y verra une émancipation d’avec « les idées ».

On peut observer un nouveau déplacement de notre notion dans un entretien de 1966 entre le critique Emir Rodriguez Monegal, le romancier cubain Severo Sarduy et Ernesto Sábato. Severo Sarduy s’y oppose à Sábato sur le romanesque, que l’écrivain argentin défend vigoureusement  : « Je pense que, de temps en temps, il convient de restaurer le sens romanesque du roman. Par rapport à des narrations comme celles du nouveau roman, qui arrivent dans un cul-de-sac, il faut revenir régulièrement à la racine essentielle du roman. Il obéit en effet à une nécessité à la fois psychologique et métaphysique de la condition humaine. [107] » En partant de l’idée que le roman est une forme occidentale, liée au rationalisme, au christianisme, à la technolâtrie et à l’instabilité sociale qui en constituent autant de motivations sociales, historiques, psychologiques et métaphysiques, Sábato estime qu’un mouvement dialectique fait resurgir le fonds fictionnel du roman chaque fois que son évolution l’entraîne vers « l’anti-roman  ». L’auteur d’Alejandra se dit convaincu de l’apparition d’un néoromantisme et n’hésite pas à identifier les termes que Senancour oppose : « La constante de toute la littérature romanesque, ce qui va durer, c’est la constante romantique. Le mot romantique, on le sait, vient du roman. Dire que le roman est romantique, c’est comme si l’on dit que le roman est romanesque. Une espèce de tautologie. [108]  » Sans doute Sábato abuse-t-il ici de l’argument étymologique. Mais ce qui est plus surprenant dans l’entretien, c’est la caractérisation qu’il propose du roman de Flaubert :

«  Nous savons tous que Madame Bovary est une espèce de Don Quichotte du roman romantique. L’authentique esprit romantique, comme l’était Flaubert, éprouve la même répugnance à l’égard du faux romantisme des romans-fleuves, la même prévention que ressent un esprit religieux authentique à l’égard des dévots. C’est ainsi que se produit cette espèce de dialectique de l’ascétisme dans le cas de Madame Bovary qui est le prototype, à mon avis, d’un roman romanesque, romantique jusqu’à l’excès, mais écrit avec une espèce de violence et de sécheresse qui va à l’encontre de la tradition de l’esprit lacrymogène. [109]  »

En attribuant à Madame Bovary le qualificatif qu’ils réservent à Paul et Virginie, Sábato se situe, à première vue, aux antipodes des Frères Goncourt. S’il peut considérer ce texte comme « le prototype [...] d’un roman romanesque », c’est sans doute à cause des clichés romantiques qui hantent Emma et dont elle s’est imprégnée en lisant … Bernardin de Saint-Pierre [110]. Cela dit, Sábato voit parfaitement ce qui oppose Madame Bovary à « l’esprit lacrymogène » et il souligne la façon dont Flaubert produit, à plusieurs reprises, une dissonance très moderne en télescopant différents discours stéréotypés : « Ce sont ces dissonances qui abolissent toute possibilité de tomber dans la trivialité romantique. [111] »

La conclusion d’Emir Rodriguez Monegal, au terme de l’entretien, mérite d’être mentionnée. Il y a toujours eu à ses yeux une coexistence dialectique entre le roman romanesque et le roman qui dénonce le romanesque : « Parce que si les romans romanesques ne semblent rien avoir de commun avec la critique du roman, il est évident que le roman critique relève des deux à la fois, parce qu’il a également l’élément narratif et cela s’observe particulièrement dans les œuvres les plus critiques.[112]  » La narrativité serait donc le noyau du romanesque que sa contestation même ne ferait qu’accentuer.

Attardons-nous un instant en Amérique latine, le temps de constater que l’expression inventée par les frères Goncourt est également présente, en portugais, dans les sciences humaines brésiliennes. On ne sera guère étonné de la retrouver dans le résumé d’une thèse de doctorat consacrée à Jorge Amado et, plus exactement, à ses romans « engagés », écrits entre 1931 et 1954 : « Sur le plan de la construction, l’analyse souligne la combinaison du texte avec les formes consacrées par la tradition narrative, dont le résultat est le roman romanesque. Cette forme s’attache à mélanger le réalisme de la dénonciation sociale et de l’engagement politique avec les schémas hérités du roman antique (ou histoire romanesque), marqués par l’héroïsme idéalisé et par le climat d’action et d’aventure, chers au goût populaire. [113]  » La référence au modèle antique semble destinée à valoriser la production d’un auteur prolifique, à qui on a beaucoup reproché, depuis une vingtaine d’années, ses compromissions avec un romanesque trivial et folklorique [114].

La situation italienne est particulièrement éloquente par rapport à la mode actuelle du romanesque. L’été 2002, Franco Croce a réalisé pour la radio 2 RAI une série d’émissions intitulée « 10 romanzi romanzeschi » destinée à relire dix textes du patrimoine narratif italien pour mettre en valeur leur teneur romanesque. Il s’agissait ainsi de combattre le préjugé selon lequel la littérature italienne serait dépourvue d’une grande tradition romanesque, « impression [...] due aussi au fait que, souvent, le roman italien a été lu, apprécié, divulgué, davantage pour en exalter les qualités stylistiques que pour en mettre en évidence la trame aventureuse et la fascination du récit [115]  ». Les romans ainsi « revisités » vont du début du 19e siècle à nos jours et comprennent I promessi sposi (Les Fiancés) de Manzoni, Niccolò dei Lapi (1841) de Massimo d’Azeglio, Le confessioni d’un Italiano (1867) d’Ippolito Nievo, Malombra (1881) d’Antonio Fogazzaro, I Misteri della giungla nera d’Emilio Salgari, La coscienza di Zeno (La Conscience de Zeno, 1923) de Svevo, La luna e i falò (1950) de Cesare Pavese, Il Barone rampante (Le Baron perché) d’Italo Calvino et Il nome della rosa (Le Nom de la rose) d’Umberto Eco. L’étendard du « romanzo romanzesco » permet ainsi la reconstitution d’une tradition oubliée de l’aventure. Comme on peut le constater, il fait émerger des auteurs largement oubliés comme Emilio Salgari à côté des auteurs les plus « classiques » du roman romantique (Manzoni), moderne (Svevo) et contemporain (Eco).

L’exploitation fasciste du romanesque

Le cycle d’émissions de Franco Croce confirme donc notre constat initial : nous assistons à une nouvelle mode du romanesque, avec une valorisation simultanée du terme critique et l’appréciation du mot dans son usage extralittéraire, trivial ou quotidien, ce qui nous conduit à nous interroger sur les circonstances dans lesquelles il fait l’objet de tous les anathèmes et à quel moment de l’Histoire on se met à l’exalter. La mode précédente du romanesque réserve, à cet égard, quelques surprises. Lisons donc quelques dithyrambes que lui consacre un ouvrage bien connu des dix-septièmistes  :

  « Le romanesque est éternel. Une femme qui aime un homme d’une autre nation, ce n’est pas un pâle fantôme de l’écran, daté des temps modernes, ce n’est pas la Grande Illusion, c’est Horace. Une jeune fille incertaine sur son cœur et qui veut paraître dure et insensible, ce n’est pas telle ou telle héroïne de film américain, ce n’est pas L’Amour en première page ou Marguerite Gautier, c’est Andromède, c’est Cléopâtre. Un soldat inconnu qui se découvre l’héritier des princes du pays, s’empare du pouvoir, ce n’est pas Tempête sur l’Asie, c’est Don Sanche d’Aragon. [...] De petits personnages populaires entourant de leurs cris et de leurs chansons une mince aventure amoureuse, ce n’est pas un film de René Clair, ce n’est pas Sous les toits de Paris, c’est La Galerie du Palais. Des amants que tout sépare et que tout réunit, ce n’est pas Le voyage sans retour, c’est Le Cid. [116]  »

Il faut reconnaître à l’auteur de ces lignes un certain talent pour actualiser les œuvres du passé et présenter Corneille sous un jour séduisant pour des lecteurs modernes. Il n’est pas exclu qu’un professeur de français puisse, avec une telle argumentation, réveiller les vocations littéraires qui se font de plus en plus rares. Il y a là, en apparence, un sujet de dissertation plus facile que le jugement des frères Goncourt sur Paul et Virginie. Mais il ne serait guère « politiquement correct » de le proposer parce qu’on aura reconnu le verbe scintillant d’un jeune normalien peu recommandable, fusillé à la Libération : Brasillach. Si l’on veut comprendre le fascisme, son livre sur Corneille, sa tentative de le dépoussiérer, est pourtant un document exceptionnel.

Brasillach y distingue deux tentations qui habitent Corneille, la tentation du romanesque et la tentation de la volonté. La deuxième partie de l’ouvrage, sur la maturité du dramaturge, s’intitule « Le Triomphe de la volonté [117] ». En traduisant en français Triumph des Willens, l’auteur a délibérément choisi un titre qui est celui « du plus célèbre des films hitlériens [118] », réalisé par Leni Riefenstahl, à la demande du pouvoir nazi, pour célébrer le congrès de Nuremberg en 1934. Brasillach voit dans la tentation de la volonté ce qui rapproche le plus Corneille de sa propre génération et se demande « si, quand Mussolini invite la Comédie-Française à jouer au Forum, il ne retrouve pas, justement, dans ce Corneille de notre enfance, le précurseur génial, hardi, anti-bourgeois, anti-capitaliste et anti-parlementaire, du fascisme moderne [119] ». Exhumer Corneille en 1938 signifie bien pour le futur, mais éphémère commissaire général au cinéma de Vichy, lui faire jouer un rôle similaire à celui que les nazis ont réservé à Nietzsche  :

«  De même que les régimes totalitaires exaltent les musiciens, les poètes, les romanciers qui ont pratiqué l’orthodoxie de la doctrine et vénéré la force, de même le régime établi par ces despotes [sc. les professeurs] impose le respect de Corneille [...] qu’ils joueraient dans les congrès nazis si Corneille s’appelait Wagner. [120]  »

Mais ce qui est malgré tout plus déterminant aux yeux de Brasillach que la volonté, c’est la « tentation du romanesque [121] » et le moment est venu de faire un peu de statistiques. On a beau ne pas aimer les chiffres, parfois ils sont parlants. Sauf erreur, le mot romanesque apparaît 75 fois dans ce livre consacré à « notre Shakespeare ». A lui seul, l’ouvrage représente près de 4 % de toutes les 2019 occurrences du terme (au pluriel comme au singulier) qui apparaissent dans la base Frantext. Si l’on fait porter la recherche sur la chaîne le romanesque, ce qui permet d’éliminer presque tous les emplois, évidemment plus fréquents, du terme comme adjectif, on frise le monopole avec plus de 17% de toutes les 88 occurrences du syntagme nominal dans une base de données qui représente tout de même un corpus de plus de 3000 textes. 17%. C’est considérable. J’insiste sur cette inflation du mot parce que le quantitatif dépasse un seuil qui le fait basculer dans le qualitatif, indissociable de l’appropriation idéologique d’un mot dans une phraséologie fasciste, version rue d’Ulm. Fasciste est d’ailleurs une approximation qui risque de masquer le glissement de Brasillach vers les thèmes nazis, plus marqués dans son livre que les poncifs du pétainisme [122].

L’adjectif revient dans des expressions comme « œuvre romanesque », « esprit romanesque », « héros romanesque », « génie romanesque », « galanterie romanesque », « conquérant romanesque [123] » et c’est une même auréole qui entoure le terme quand il désigne des qualités morales ou strictement littéraires, un tempérament, un fait divers ou une comédie.

«  Ce goût invincible du romanesque [124] », selon l’expression de Brasillach, constitue un fil rouge qu’il traque dans toute l’œuvre de Corneille, mais il y voit surtout un synonyme de sa jeunesse et il le trouve incarné au suprême degré dans Le Cid. Le chapitre relatif à cette pièce s’intitule précisément « Le triomphe du romanesque ». Tout en narrant, non sans brio, la querelle du Cid, Brasillach s’applique à montrer à quel point l’ensemble de la production de Corneille et cette pièce en particulier est traversée par les mythes et les motifs qui sont à l’œuvre, dans les années trente comme aujourd’hui, dans la culture populaire. La force de son actualisation tient à cette imbrication constante entre un discours parfois très abstrait sur Corneille et l’évocation exaltée des phénomènes de la vie moderne qui lui feraient écho, et qui se présente, elle, sous la forme d’une pseudo-sociologie de la culture. Par moment, on ne sait plus s’il est question du XVIIe siècle, des années 1930 ou des deux à la fois :

«Jusqu’à la fin de sa vie, Pierre Corneille devait donc rester l’habitant de cette planète merveilleuse qu’on appelle la planète du romanesque. Elle n’a jamais cessé d’être sa patrie idéale, et il faut croire que les hommes naissent obstinément sous son influence, puisque à chaque saison elle prend pour eux un aspect nouveau sans jamais cesser d’être elle-même. Aujourd’hui, c’est l’écran qui pour des millions d’hommes apporte les rêves de domination et de sacrifice  : c’était à l’époque l’écran plus étroit du vers qui devant un public plus restreint mais aussi enflammé, séparait le mari de la femme rêveuse, la dactylographe insipide de l’héroïque commis en nouveauté, et parait la petite cousine des séductions de Greta Garbo. [125]  »

Des rêves de domination et de sacrifice. Ce sont ces rêves qui sont au cœur du romanesque selon Brasillach, même s’il donne au terme bien d’autres définitions, plus envoûtantes les unes que les autres :

«  L’esprit romanesque est souvent précieux, mais le romanesque n’est pas la préciosité. L’esprit romanesque est souvent aventureux, mais le romanesque n’est pas l’aventure. Le romanesque est une faculté merveilleuse de devenir poète par l’action, de traduire en actes, ou en désirs d’actes presque toujours, ce qu’on a lu ailleurs, ce qu’on a vu ailleurs, dans les poèmes ou dans les films. [126]  »

C’est par la médiation du romanesque que la culture de masse sert à donner un lustre moderne à Corneille tout comme son théâtre permet d’anoblir en retour les aspirations contemporaines de ces jeunes qui croient que la guerre, c’est le cinéma enfin vécu. L’utilisation du Cid pour poétiser à travers le romanesque leurs « rêves de domination et de sacrifice » est un bel et sinistre exemple de « l’esthétisation de la politique que pratique le fascisme [127]», dont parle Walter Benjamin dans son célèbre essai sur « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique ».


Ferragosto 1970 ou le romanesque à l’épreuve de la modernité

Après l’apothéose douteuse du romanesque, il faut, enfin, évoquer son procès devant la cour d’assises. Le tribunal siège en Italie, et les jurés sont les lecteurs du Corriere della sera qui publie l’acte d’accusation dans ses colonnes de l’été 1970. Brasillach aurait pu dire que la peine capitale, c’est-à-dire son exclusion du littéraire à perpétuité, est requise contre le prévenu. Écoutons l’inflexible procureur, écoutons Carlo Cassola :

«  L’idée populaire du roman continue à être celle d’il y a mille ou dix mille ans. Un roman ne doit pas raconter les cas ordinaires de la vie, sinon, quel intérêt a-t-il ? Seulement les cas extraordinaires ont de l’intérêt : “romanesque” est donc synonyme d’exceptionnel, d’extraordinaire, d’invraisemblable. Des phrases comme “quand la vie est un roman”, “la réalité est parfois plus romanesque que les romans” témoignent de cette mentalité invétérée. [...] Le roman s’est développé dans la mesure où il s’est débarrassé du romanesque. [128]  »

Le romanesque selon Cassola, c’est en quelque sorte le péché originel du roman, lié à sa genèse dans la narration orale, au milieu des cavernes, qui lui aurait valu la tare du suspense :

«  Le roman-feuilleton, le roman rose, le roman policier, le thriller ont été confectionnés avec les mêmes trucs qui servaient au narrateur antique pour tenir en éveil l’attention de ses auditeurs ou de ses lecteurs, pour les laisser la bouche ouverte, pour les épater, pour provoquer les pleurs et le rire. [129]  »

Pour l’auteur de Alla periferia (1942), La visita (1942), Fausto e Ana (1952), Un cuore arido (1961) et tant d’autres romans, recueils de nouvelles et essais, le suspense relève du divertissement, il est bon pour le roman populaire et le roman populaire est bon pour les sociologues de la littérature.

Dans les neuf articles du Corriere della sera qui seront repris dans Poesia e romanzo, Cassola s’attache à définir les caractéristiques du « roman en tant que création originale du monde moderne [130]  ». La première caractéristique de ce roman moderne de la contemplation qui revendique par dessus tout l’héritage réaliste de Flaubert, c’est l’abandon du romanesque et Cassola n’hésite pas à donner des mauvais points aux romanciers comme Pasternak et surtout Stendhal qui lui auraient fait trop de concessions [131]. Avec les autres caractéristiques qui découlent de l’abandon du romanesque, Cassola procède à une liquidation en règle de tout l’héritage de l’épopée. En effet, le roman moderne dont il fait l’apologie renonce non seulement aux personnages d’exception, mais aussi aux événements singuliers comme les délits, les meurtres et le suicide parce qu’il trouve sa matière dans les paysages, les atmosphères et le quotidien des gens ordinaires : « Que le romanesque soit superflu dans le roman moderne résulte de sa seconde caractéristique : à savoir sa focalisation, de préférence, sur les personnes simples et les cas ordinaires de la vie. [132]  » Le roman moderne cher à Cassola montre le pathétique du commun des mortels, sans jamais rechercher l’étude sociale. Le choix d’un sujet contemporain va dans le même sens et contribue à éviter l’invraisemblance.

Mais l’ascétisme de Cassola va plus loin et ne se limite pas aux seuls éléments romanesques. Il jette également aux orties les réflexions philosophiques et les idées qui encombrent selon lui un trop grand nombre de récits : La Recherche, les romans de Thomas Mann et L’Homme sans qualités ne sont à ses yeux que des essais déguisés.

Lors du ferragosto de 1970, ces thèses publiées dans le creux estival provoquent une vive polémique et des auteurs comme Giorgio Bocca, Mario Soldati et Cesare Garboli interviennent dans le débat qui se prolonge jusqu’en octobre [133]. Pour Pietro Citati, Cassola est un « romancier tendu vers la contemplation mystique de la réalité », mais « aussi une espèce d’Horace ou de Boileau [134]» et il sera le premier à le contredire le 2 septembre dans un article publié dans le quotidien Il Giorno. Attaché au « merveilleux absolument shakespearien », Citati défend une conception « polymorphique  » du roman qui conserve comme autant de virtualités l’ensemble des traits et des ressources qui ont caractérisé le genre depuis ses origines. En dialecticien, il estime que la fonction des éléments aventureux s’est profondément modifiée : « L’arsenal des trouvailles et des coups de théâtre qui visaient autrefois à captiver le grand public, est aujourd’hui le lieu où se manifestent les plus subtiles intentions compositionnelles : le lieu privilégié où se dissimule la toile des symboles, rigoureuse comme un édifice métaphysique et impalpable comme un courant souterrain fluide qui soutient le roman. [135]  » Citati interprète de façon similaire les « idées » qui se sont transformées à ses yeux, sous la plume de Goethe et de Proust, en « “motifs” poétiques qui s’insinuent entre les personnages, s’entrelacent entre les paysages et les aventures pour leur donner un fond aussi lucide qu’infiniment varié. [136]  » L’essai de Citati s’achève sur l’image poétique du « grand corps endormi du roman, ce corps au millier de bras, aux pieds enfoncés dans les cavernes et au chef perdu dans les plus pures et lointaines constellations [137] » qu’un génie « doué à la fois d’une imagination philosophique vigoureuse et d’une exubérante fantaisie métaphorique [138]  » saura peut-être réveiller.

Peu de temps après, Italo Calvino fait paraître à son tour un article dans Il Giorno pour se ranger du côté de Citati [139]. L’auteur de Marcovaldo ne partage pas du tout le purisme minimaliste de Cassola. Tout en reconnaissant l’intérêt du modèle flaubertien pour la poétique personnelle de son confrère, il lui dénie le droit d’en faire une théorie universelle :

«  La poétique de l’ineffable existence est, et restera, liée à de rares expériences individuelles, à des conjonctures historiques particulières. Cassola déclare qu’elle a triomphé ; ne se rend-il pas compte que ce triomphe est une défaite? Que peut bien représenter un tel triomphe aujourd’hui ? Des romans sans couleur, comme l’eau de vaisselle où nage la graisse de sentiments réchauffés. [140]  »

Si Calvino est prêt à participer à la « réhabilitation du “romanesque” et à parier sur sa future réincarnation [141]  », c’est qu’il constate une contradiction entre l’intérêt des critiques pour le fonctionnement du récit traditionnel et l’opprobre qui le frappe chez les créateurs. Il cite comme exemple S/Z, mais pour « inverser » le raisonnement de Roland Barthes. Qu’on puisse décrypter de façon exhaustive un « roman classique » comme Sarrazine ne signifie pas nécessairement qu’il s’agisse d’une forme morte, mais qu’il sera possible de « construire des romans “artificiels” nés en laboratoire », en appliquant « les règles », désormais connues, « du jeu “romanesque” [142] ».

Ce jeu avec le lecteur, Calvino va le jouer lui-même, quelques années plus tard, avec Si par une nuit d’hiver un voyageur : «  Mon objectif, déclare-t-il lors de la parution du livre, était de donner l’essence du romanesque en la concentrant dans dix incipit de romans qui développent selon les modalités les plus diverses un noyau commun. [143] » Et dans une lettre à Angelo Guglielmi, publiée en septembre 1979 dans Alfabeta, il précise ce qu’il entend par romanesque  :

«  1) L’objet de la lecture qui est au centre de mon livre n’est pas tant le “littéraire” que “le romanesque”, c’est-à-dire un procédé littéraire déterminé - propre au récit populaire et de consommation, mais adopté de façon variable par la littérature d’un rang élevé - qui se base en premier lieu sur la capacité à focaliser l’attention sur une intrigue dans l’attente permanente de ce qui va advenir. [144]  »

On ne saurait plus clairement refuser une dichotomie manichéenne entre la littérature populaire et la Littérature avec un L majuscule. Les ficelles du suspense existent dans le grand roman, comme dans le roman policier, mais elles sont plus subtiles et peuvent demeurer invisibles. Pour Calvino, il ne s’agit pas de cacher ces ficelles, mais au contraire de les exhiber, de brandir des fils qui changent de couleur au moment même où notre esprit s’y accroche, de faire de la force qui nous capte, de faire du leurre qui nous attire, l’objet même de son livre. Plutôt que de métafiction, il faudrait parler d’un métaromanesque, ludique et inédit, capable de nous tenir en haleine, malgré la distance ironique, comme les griots d’autrefois.

***

Nous voilà, finalement, ... en Afrique ! On dirait que vous vous êtes laissé emporter par le romanesque de votre sujet et qu’un étrange mimétisme vous a conduit, à votre tour, à accumuler, à un rythme vertigineux, péripéties citationnelles et coups de théâtre référentiels. Votre façon de traverser, au grand galop, six sphères linguistiques différentes, en brandissant ici des emplois de l’adjectif, là des formes substantivées, en passant de nos plus grands classiques aux hapax de l’internet, confirme décidément notre malaise à l’égard d’un certain comparatisme dont les effets polyglottes cachent mal une incapacité de synthèse. Le moment serait peut-être venu de vous ressaisir et de nous confier enfin le fond de votre pensée sur le romanesque.

Dressons d’abord un bilan linguistique. Si l’engouement actuel pour le romanesque traverse allègrement les frontières, c’est dans les principales langues romanes que la fortune du mot en témoigne le plus clairement au niveau des études littéraires. La substantivation de romanesque, romanzesco, novelesco et romanesco a depuis longtemps parachevé, en français, en italien, en espagnol comme en portugais, le caractère transgénérique de la notion et son « autonomisation relative [145]» d’avec le roman. Elle a peut-être permis que le romanesque devienne, dans ces langues, un concept esthétique à part entière, qui n’a pas d’équivalent en anglais, où the novelesque semble relever du hapax [146]. Dans les pays de langue allemande, das Romanhafte a été promu au rang conceptuel chez Hegel, mais il n’a guère été suivi  : dans sa forme substantivée, la notion n’a, aujourd’hui, qu’une existence marginale dans le discours critique outre-Rhin [147].

Des « chimères » romanesques dénoncées par Mascarille aux idées fantasques de Don Sylvio de Rosalva, égaré par son caractère « romanesque  », de « l’imaginé des personnages » que les Goncourt apprécient dans le « roman romanesque » Paul et Virginie à l’ « esprit romanesque » qui, selon Thibaudet, s’en « satisfait », du romanesque qui « séduit les imaginations vives et fleuries » (Senancour) aux scénarios amoureux, inspirés de Roméo et Juliette, dont rêvent Les Romanesques d’Edmond Rostand, nous avons pu constater que le romanesque et le phantasme sont inextricablement liés [148].  Cet aspect, généralement sous-estimé, me conduit à hasarder la définition suivante. Dans sa version héroïque ou galante, aventureuse ou sentimentale, triviale ou sublime, le romanesque, c’est ce qui, dans les œuvres, convoque, cristallise ou flatte le plus directement le phantasme. Le « roman romanesque » serait celui où l’évocation du phantasme prime sur la recherche formelle et passe, prioritairement, par des schémas narratifs plus traditionnels et devenus, souvent, populaires.

Quand ils servent à manipuler l’opinion, ces phantasmes peuvent devenir redoutables. Il y a des raisons politiques de se méfier du romanesque viril, surtout lorsqu’il s’agit des « rêves de domination et de sacrifice » que les fanatiques de tout bord savent si bien exploiter. Le roman le plus dangereux, c’est le roman de l’apocalypse, qu’il soit l’œuvre de Ben Laden ou des stratèges du Pentagone.

Il y a des raisons esthétiques de se méfier du romanesque. Sous une forme dégradée, l’héritage de l’Odyssée, devenu trivial, anime la littérature fantastique, le roman policier, les films d’espionnage comme les westerns. Avec leurs ancêtres lointains du roman pastoral, les personnages des telenovelas latino-américaines partagent le même romanesque sentimental, à ceci près qu’il n’y subsiste qu’un « grain de vrai », pour inverser la formule des Goncourt. Mais la critique idéologique de cette production ne doit pas se confondre avec le mépris et ignorer les réussites esthétiques de la paralittérature. Surtout, les épigones de Flaubert des années soixante auraient peut-être dû méditer un instant l’exemple du roman latino-américain et de la place qu’y occupe le romanesque dans sa version sublime. Au même moment où Cassola le présentait comme une tare archaïque à jamais dépassée, Alejo Carpentier a souligné la modernité de l’épopée, dans le roman, en tant que « accion “grande y publica”[149]», seule en mesure de symboliser la lutte de libération des peuples du continent. Le Siècle des Lumières illustre à merveille ce romanesque épique. 

Enfin, vous connaissez bien ce « roman du siècle » qu’il fallait avoir lu à la rentrée et qui a failli obtenir le Goncourt. Vous l’avez acheté comme moi parce que Z*** en a dit du mal dans Libération, ce qui est souvent un signe de qualité. Cinq cent pages inspirées de la structure d’un artichaut, un véritable tour de force. Votre voisine en parle chaque fois dans l’ascenseur. Depuis septembre, il est là, fidèle, sur votre table de chevet. Chaque phrase ressemble étrangement aux dictées de Pivot et il y a du pain sur la planche pour une centaine de narratologues. Vous en êtes, toujours, à la page 11. Pour ne pas mettre sur le compte de votre fatigue la résistance que vous oppose ce chef-d’œuvre, que vos petits-enfants étudieront en première, vous vous y êtes encore replongé dimanche dernier. Toujours, le livre vous tombe des mains. Ce roman, c’est celui qui a enfin réussi là où Cassola, là où Rousseau ont échoué: éliminer le romanesque.

 

* © Andréas Pfersmann. Cette étude a d’abord paru dans Alain Schaffner (dir.), Romanesques I. Récit d’enfance et romanesque, Amiens, Centre d’Études du roman et du romanesque de l’Université de Picardie, 2005, p. 13-61. Une première version en a été présentée en mai 2002 dans le cadre du Centre d’Études du Roman et du Romanesque de l’Université de Picardie-Jules Verne. Je remercie Alain Schaffner et l’ensemble de mes amis et collègues amiénois de m’avoir offert cette opportunité. Mon étude est aussi liée aux travaux du Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature (C.T.E.L.) de l’Université de Nice sur « L’émergence et l’hybridation des genres » où elle a également été discutée en novembre 2002. Les romanistes de l’Université de Vienne l’ont, eux aussi, honoré de leur écoute bienveillante. Je n’oublie pas, enfin, le petit cercle de personnes qui ont pris le temps de lire, crayon en main, des versions antérieures de ce travail et qui me sont, à ce titre et à bien d’autres, particulièrement chères.

[1] http://www.artichokespicci.com/fr/romanesco.asp. Page consultée le 14 mars 2003.

[2] « Nous réservons désormais le terme romantique aux œuvres qui reflètent la présence du médiateur sans jamais la révéler et le terme romanesque aux œuvres qui révèlent cette même présence. » René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris, Grasset, 1961, p. 25.

[3] Voici la définition qui est proposé dans cet entretien : « Le romanesque est un mode de discours qui n’est pas structuré selon une histoire ; un mode de notation, d’investissement, d’intérêt au réel quotidien, aux personnes, à tout ce qui se passe dans la vie. » Roland Barthes, Œuvres complètes, Tome III (1974-1980), éd. Éric Marty, Paris, Seuil, p. 328. Cette définition, axée sur le quotidien, est sensiblement différente de celle que propose le « Texte à deux (parties) » : « Le romanesque, comme nous l’avons entendu, c’est-à-dire comme puissance d’expression du discontinu humain, comme soumission à l’interstice des lois (à commencer par celles du discours), c’est ce lien de langage (de communication ? Pour une fois employons le mot) où l’on accepte de ne pas affronter directement des systèmes dont chacun peut l’emporter ; c’est ce qui dit non (toujours le pied de nez !) à la parade des arrogances. », ibid., p. 764.

[4] Cf. ibid., p. 744.

[5] Voir Le Romanesque. Études réunies par Gilles Declercq et Michel Murat, à paraître aux Presses de la Sorbonne Nouvelle.

[6] Voir, par exemple, Paul Aron / Denis Saint Jacques / Alain Viala (éd.), Le Dictionnaire du littéraire, Paris, Puf, 2002  ; Henri Bénac, Guide des idées littéraires, Paris, Hachette, 1988, 1998 ; Dictionnaire des Genres et notions littéraires, Nouvelle édition augmentée, Encyclopédia Universalis et Albin Michel, 2001 ; Béatrice Didier (dir.), Dictionnaire universel des littératures, Paris, Puf, 1994 ; Demetrio Estébanez Calderón, Diccionario de términos literarios, Madrid Alianza Editorial, 1996 ; Paul Merker /Wolfgang Stammler (dir.), Reallexikon der deutschen Literaturgeschichte, vol. 3, Berlin/New York, W. de Gruyter, 1977 ; Franco Simone (dir.), Dizionario critico della letteratura francese, vol 2, Turin, Unione tipografico- Editrice Torinese, 1972; J.P. de Beaumarchais, Daniel Couty, Alain Rey, Dictionnaire des Littératures de langue française, Paris, Bordas, 1984; Vittore Branca (dir.), Dizionario critico della litteratura italiana, vol. 3, Turin, Unione tipografico- Editrice Torinese, 1973.

[7] Étienne Souriau (dir.), Vocabulaire d’esthétique, Paris, Puf (Grands dictionnaires), 1990, p. 1245. Observons que le contraste entre éléments fortement opposés est déjà souligné par Max Deutschbein, « Romantisch und romanesk », in : Britannica. Max Förster zum sechzigsten Geburtstag, Leipzig, Bernard Tauchnitz, 1929, p. 220 s.

[8] Jean-Marie Schaeffer, « Le romanesque », date de publication: 14/09/2002, in : Site de Vox Poetica [en ligne], http://www.vox-poetica.org/t/leromanesque.htm. Page consultée le 26 février 2003.

[9] Joachim du Bellay, Les Regrets et autres œuvres poétiques, éd. J. Jolliffe / M.A. Screech, Genève, Droz, 19742, p. 105.

[10] Voir Werner Krauss, « Zur Bedeutungsgeschichte von romanesque im 17. Jahrhundert », in : Zeitschrift für französische Sprache und Literatur vol. 61 (1937), p. 297-320. L’étude de Krauss est violement contestée, mais avec peu d’arguments, par Walther von Wartburg, Französisches Etymologisches Wörterbuch, t. 10, Bâle, Zbinden, 1962, p. 456. Pourtant citée par le TLF, elle fait l’objet d’un oubli regrettable dans les études plus récentes et souvent moins informées. Voir Georges Molinié, « Sur le mot romanesque », in : Études de lexicologie, lexicographie et stylistique : offertes en hommage à Georges Matoré, par ses collègues et ses élèves / textes réunis par Irène Tamba, Paris : Société pour l'information grammaticale, Université de Paris-Sorbonne, 1987, p. 223-230.

[11] Voir Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Robert, 1995, p. 728.

[12] Article « -esque », in : Trésor de la langue française, tome 3, p. 152.

[13] Charles Sorel, Le Berger extravagant (réimpression de l’édition de Paris, 1627), introduction H. Béchade, Genève, Slatkine Reprints,1972, p. 533 (livre 14, partie 3, p. 187).

[14] Cette étude était rédigée quand j’ai appris que Laurence Plazenet s’était penchée de façon très précise sur l’usage du terme dans le roman baroque et chez Sorel en particulier, lors du colloque de la Sorbonne. Voir « Romanesque et roman baroque  » , in : Gilles Declercq et Michel Murat, op. cit.

[15] Ibid., p. 547 (livre 14, partie 3, p. 243).

[16] Ibid., p. 148 (livre 4, partie 1, p. 516).

[17] Voir Werner Krauss, loc. cit., p. 394.

[18] Molière, L’Étourdi (I, 2), in : Œuvres Complètes, éd. G. Courtois, t.1, Paris, Gallimard (Pléiade), 1971, p. 55.

[19] Édmond Rostand, Les Romanesques, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1894, p. 17.

[20] Ibid., p. 58.

[21] Ibid., p. 70.

[22] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Paris, Garnier, 1971, p. 38 s.

[23] Trad. A.P. et Ph.M. « Man wird sich um so weniger wundern, daß die Einbildungskraft des Don Sylvio von einer so wunderbaren Erziehung einen seltsamen Schwung bekommen mußte, wenn wir sagen, daß eine ungemeine Emfpindlichkeit, und, was unmittelbar damit verbunden ist, eine starke Anlage zur Zärtlichkeit, unter die Gaben gehörte, womit ihn die Natur bis zum Übermaß beschenkt hatte. » C.M. Wieland, Die Abenteuer des Don Sylvio von Rosalva, in: Sämtliche Werke (1795), Reprint, Hambourg, Greno, 1984, t. IV/11, p. 13. Gelehrter Phänomenologe lyrischer Eigennamen und Meister dichterischer Übertragung, hab Dank für den soufflierten Rat!

[24] Trad. A.P. « Nehmen wir nun alle diese Umstände zusammen, welche sich vereinigten, der romanhaften Erziehung unseres jungen Ritters ihre volle Kraft zu geben, so werden wir nicht unbegreiflich finden, daß er nur noch wenige Schritte zu machen hatte, um auf so abenteuerliche Grillen zu gerathen, als seit den Zeiten seines Landmannes, des Ritters von Mancha, jemahls in ein schwindliges Gehirn gekommen seyn mögen. », ibid., p. 17.

[25] « daß er in der That etwas sonderbares und romanhaftes an sich habe », ibid., p. 321.

[26] « der romanhafte Schwung seiner Einbildungskraft  », ibid.

[27] Voir Logan Pearsall Smith, « Four romantic words », in : Words and Idioms, London, Constable & Co., 1957, p. 66-134, ici p. 70.

[28] François Jost, « Romantique : la leçon d’un mot », in : Essais de littérature comparée II. Europeana. Première Série, Fribourg /Urbana (Éd. universitaires de Fribourg / Univ. Of Illinois Press), 1968, p. 181-258, ici p. 187.

[29] Trad. A.P. « Man nennt eigentlich dasjenige so, was in dem Inhalt, Ton oder Ausdruck, den Charakter hat, der in den ehemaligen Romanen herrschend war, wie das Abenteuerliche, Verstiegene in Handlungen, in Begebenheigten und in den Empfindungen. Das Natürliche ist ohngefehr gerade das Entgegensetzte des Romanhaften », Johann Georg Sulzer, Allgemeine Theorie der schönen Künste, 2 vol., Leipzig 1771-1774, t. II, p. 998, colonne 2, article « Romanhaft  », cité d’après François Jost, loc. cit., p. 209.

[30] Immanuel Kant, Sur le sentiment du beau et du sublime (trad. B. Lortholary modifiée), section II, in : Œuvres philosophiques I, Paris, Gallimard (Pléiade), 1980, p. 459. « In der menschlichen Natur finden sich niemals rühmliche Eigenschaften, ohne daß zugleich Abartungen derselben durch unendliche Schattierungen bis zur äußersten Unvollkommenheit übergehen sollten. Die Eigenschaft des Schrecklicherhabenen, wenn sie ganz unnatürlich wird, ist abenteuerlich.* [….]

*  In so fern die Erhabenheit oder Schönheit das bekannte Mittelmaß überschreitet, so pflegt man sie romanhaft zu nennen. » Beobachtungen über das Gefühl des Schönen und Erhabenen (édition C. de 1771), dans: Vorkritische Schriften bis 1768. II (=Werke t.II), ed. W. Weischedel, Wiesbaden, Insel, 1960, p. 832. Il est intéressant de remarquer que l’édition princeps, de 1764 (A), donnait romanisch au lieu de romanhaft.

[31] Madame de Sévigné, Correspondance t.1, 1646-1675, p. 662, 1675, cité d’après Frantext.

[32] Ibid, t.2, p. 991, 1680, cité d’après Frantext.

[33] Voir Werner Krauss, loc. cit., p. 315.

[34] Trad. A.P. « Questa Commedia che ora publico colle stampe, diversa è forse da tutte le altre mie. Ella è romanzesca [...] Fortunate riuscirono tali composizioni, da un noto Romanzo onninamente estratte, e quantunque condannassi io dentro di me medesimo la massima di nuovamente sulle nostre Scene introdurle, l’esito m’invaghì di darne una io pure al Populo, che del sorprendente qualque volta s’appaga. Non volli però io, in ciò facendo, perdere soverchi tempo nella lettura di alcun romanzo, ma ideandomi una favola romanzesca, tessei con tale immagine la presente Commedia, la quale è di tante fatti, di tante accidenti ripiena, che potrebbe servir di sommario per un romanzetto di quattro tomi almeno. [...] Questa dunque, com’io diceva a principio, è una Commedia romanzesca, perché nel giro di poche ore una moltitudine di accidenti comprende inaspettati e strani, e talor sorprendenti, che non abbiano a dirsi impossibli o inverosimili, ma solo da una estraordinaria combinazione diretti. Se avessi prima formato o letto un Romanzo, e i fatti sparsi pel medesimo avessi unito in una Commedia, caduto sarei anch’io per necessità nell’impossibile, o nella confusione almeno  » Carlo Goldoni, L’Icognita, in: Tutte le Opere di Carlo Goldoni, éd. Giuseppe Ortolani, Mondadori, 1959, p. 794.

[35] Voir Benedetto Croce, « Il vagheggiamento del romanzesco », in : Ariosto, Shakespeare e Corneille, Bari, Laterza, 1920, p. 119-128.

[36] « Sulle figurazioni dei drammi romanzeschi si diffonde perciò un senso d’irrealtà, ossia non già di falsità, ma appunto di quella irrealtà, che è del giuoco dell’immaginazione, come accade quando si racconta una fiaba con la coscienza che quella è fiaba, e nondimeno si prende gran diletto a farsi ripassare innanzi il reuccio, la bella, l’orco e la fata. [...] Il romanzesco non ha nessuna intenzione di finire nello straziante o nel grave di pensieri : vuol sollecitare l’immaginazione, ma insieme serbarla agile e lieta, e lasciarla contenta. », ibid., p. 126 s.

[37] Denis Diderot, « Discours sur la poésie dramatique  », in : Œuvres complètes (éd. Lewinter), t. 3, Paris, Le Club français du livre, 1970, p. 436.

[38] Ibid., p. 437.

[39] Voir Jean Marie Schaeffer, loc. cit.

[40] Diderot, op.cit., p. 457.

[41] Rousseau, Les Confessions, Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard (Pléiade), 1959, p. 546. Dans une lettre du 8 avril 1767 au Marquis de Mirabeau, Rousseau accorde davantage de crédit à Richardson : « Ses situations, qui paroissent romanesques, sont naturelles [...], ses portraits qui paraissent chargés, sont vrais. » Correspondance générale, t. XVII, p. 27-28, cité d’après Les Confessions, op. cit., p. 1541.

[42] Rousseau, La Nouvelle Héloïse, Appendice I. « Les amours de Milord Edouard Bomston », in : Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard (Pléiade), 1964, p. 749.

[43] Confessions, op. cit., p. 524.

[44] « Les amours de Milord Edouard Bomston », loc.cit., p. 750.

[45] Rousseau, Œuvres complètes, t. II, op. cit., p. 1816.

[46] Jean Starobinski a montré comment ce dépouillement est lié à l’échec des espérances romanesques que Rousseau avait puisées dans les lectures de son enfance. Voir « L’écart romanesque  », in : Jean-Jacques Rousseau. La transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard (Tel), 1971, p. 393-414.

[47] La Nouvelle Héloïse, op.cit.., p. 745.

[48] Voir Yannick Séité, Du livre au lire : La Nouvelle Héloïse, roman des Lumières, Paris, Champion, 2002.

[49] La Nouvelle Héloïse, op. cit., p. 625.

[50] C’est le terme que Lauretta utilise dans sa lettre d’adieu à Milord Édouard. Voir ibid., p. 652.

[51] Confessions, op. cit., p. 17.

[52] Ibid., p. 543.

[53] Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, in : Œuvres complètes I, op. cit., p. 1048.

[54] Ibid., p. 1040.

[55] Selon l’expression du Dictionnaire historique de la langue française, op. cit., p. 1827.

[56] Le Tourneur, Discours en tête de sa trad. de Shakespeare, p. CXVIII (note), cité d’après Alexis François, « Où en est “romantique”  », in : Mélange d’histoire littéraire générale et comparée offerts à Fernand Baldensperger (1929), t. I, Genève, Slatkine Reprints, 1972, p. 324 et Rousseau, Œuvres I, op. cit. p. 1794.

[57] « Romanhaft und Romantisch… der Sprachgebrauch hat sie unterschieden. Das erste können wir bald durch abenteuerlich, bald unnatürlich und übertrieben, bald durch unglaubhaft, das letzte durch schauerlich verdeutschen.  », J.J. Campe, Wörterbuch zur Erklärung und Verdeutschung der unserer Sprache aufgedrungenen fremden Ausdrücke, Braunschweig, 1801, t.I, p. 594, cité d’après Fernand Baldensperger, « “Romantique”, ses analogues et ses équivalents: tableau synoptique de 1650 à 1810 », in : John A. Walz, Barltlett Jere Whiting, Louis Francis Soland, Harvard Studies and Notes in Philology and Literature, vol. XIX, Cambridge, Harvard University Press, 1937, p. 13 ss.

[58] « Un po’ più stravagante e capriccioso che romanzesco. » Cité d’après François Jost, loc. cit., p. 224.

[59] Louis Sébastien Mercier, Néologie, Paris, 1801, t.2, p. 229, cité d’après Baldensperger, loc. cit.

[60] Étienne Pivert de Senancour, Obermann (1804, 18403), éd. Jean-Maurice Monnoyer, Paris, Gallimard, 1984, p. 182.

[61] Voir Alexis François, loc.cit., p. 323.

[62] G.W.F. Hegel, Esthétique, trad. S. Yankélévitch, t.2, Paris, Aubier Montaigne, 1954, p. 324. « Dies Romanhafte ist das wieder zum Ernste, zu einem wirklichen Gehalte gewordene Rittertum. Die Zufälligkeit des äußerlichen Daseins hat sich verwandelt in eine feste, sichere Ordnung der bürgerlichen Gesellschaft und des Staats, so daß jetzt Polizei, Gerichte, das Heer, die Staatsregierung an die Stelle der chimärischen Zwecke treten, die der Ritter sich machte. », Vorlesungen über die Ästhetik II (= Werke in zwanzig Bänden t. 14), Francfort, Suhrkamp (Theorie Werkausgabe), 1978, p. 219. Sur le romanesque selon Hegel, voir infra l’étude de Carlo Arcuri.

[63] Ernest Seillière, Les Origines romanesques de la Morale et de la Politique romantiques, Paris, La Renaissance du livre, 1920, p. 7.

[64] Ibid., p. 6.

[65] Ibid.

[66] Ibid., p. 13.

[67] Ibid., p. 15.

[68] Ibid., p. 42 s.

[69] Ibid., p. 10.

[70] Voir, par exemple, le compte-rendu qu’Albert Thibaudet consacre au livre de Seillière, sous le titre significatif « Du romanesque  », dans la NRF, juillet 1920, p. 107-116.

[71] Voir Georges Benrekassa, « Entre l’individu et l’auteur : Jean-Jacques Rousseau, grand écrivain national (1878-1912), ou “dans quel état on entre dans l’histoire” », in : Fables de la personne. Pour une histoire de la subjectivité, Paris, Puf (Écriture), 1985, p. 135-218. Seillière est abordé pp. 189 ss.

[72] Stendhal, De l’Amour (1822), Paris, Classiques Garnier, 1959, p. 13.

[73] Maurice Barrès, Mes Cahiers, t. 3, 1902-1904, janvier-août 1904, p. 203-204, cité d’après Frantext. Je souligne.

[74] Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire 1860-1861, éd. Robert Ricatte, t. IV, Monaco, Fasquelle et Flammarion/Éditions de l’imprimerie nationale de Monaco, 1956, p. 124.

[75] Ibid., p. 124  s.

[76] Voir Georges Benrekassa, « L’univers culturel de Paul et Virginie : Texte, intertexte, contexte », in  : Fables de la personne, op. cit.,p. 57 ss.

[77] Étiemble, « Préface », in : Romanciers du XVIIIe siècle, tome 2, Paris, Gallimard, 1965, p. XXXII.

[78] Edmond et Jules de Goncourt, op. cit.

[79] Gustave Flaubert, Correspondance, éd. Jean Bruneau, t. III (janvier 1859-décembre 1868), Paris, Gallimard (Pléiade), 1991, p. 340. Ces remarques concernent la trilogie Un début à l’Opéra, Monsieur de Saint-Bertrand et Le Mari de la danseuse et montrent qu’aux yeux de Flaubert le romanesque peut même avoir l’air vrai. Il ne lui donne pas pour autant un blanc-seing : tout le problème est d’en faire un usage approprié. La mise en garde amicale qu’il adresse à Feydeau, en août 1859, le montre bien : « Ne t’inquiète pas des objections que tu me fais sur Catherine. Tout cela ne signifie rien. Le danger à éviter est dans le romanesque du sujet. Il faut trouver des liens infinis pour le rattacher à la partie commune, ordinaire, c’est-à-dire à la vie de Paris », ibid., p. 39.

[80] Voir Theodor W. Adorno, Ästhetische Theorie, Francfort, Suhrkamp, 1970 et Rainer Rochlitz, « Teneur de vérité », in : Revue des Sciences Humaines 229 (1993-1), numéro spécial Adorno, p. 27-45.

[81] Roger Martin du Gard, Devenir, in : Œuvres complètes t. 1, Paris, Gallimard (Pléiade), 1955, p. 142.

[82] Ibid., p. 142.

[83] André Beaumier, « Un renouveau du roman romanesque », in : Revue des Deux Mondes, t. LI (1919), p. 693.

[84] Ibid., p. 697.

[85] Albert Thibaudet, « Réflexions sur la littérature. Le roman de l’aventure », in : NRF, 1er sept 1919, 6e  année, n° 72, p. 604.

[86] Ibid., p. 604 s.

[87] Sigmund Freud, « Les phantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité », in : Névrose, psychose et perversion, PUF, 1973, p. 150. « ergibt es sich gewöhnlich, daß all diese Heldentaten nur verrichtet, alle Erfolge nur errungen werden, um einem Weib zu gefallen und von ihr anderen Männern vorgezogen zu werden. » Sigmund Freud, « Hysterische Phantasien und ihre Beziehungen zur Bisexualität », in: Studienausgabe t. 6, Francfort, Fischer, 1982, p. 189.

[88] Albert Thibaudet, loc. cit., p. 605.

[89] Bernard Pingaud, L’Expérience romanesque, Paris, Gallimard (folio), 1983, p. 22.

[90] Ibid. Il ne saurait être question de faire un mauvais procès à Pingaud qui a formulé des hypothèses importantes au sujet du romanesque. Voir également « Le romanesque sauvé par le fantasme », in : Bernard Pingaud, Comme un chemin en automne, Paris, Gallimard, 1979, p.  72.

[91] Alain Schaffner montre comment le romanesque « contamine en quelque sorte le texte qui s’acharne à le dénoncer ». Voir « Le romanesque  : idéal du roman ? », in : Le Romanesque. Études réunies par Gilles Declercq et Michel Murat, op. cit. à paraître.

[92] C’est l’intitulé de l’une des questions de littérature générale et comparée au programme de l’agrégation de Lettres modernes en 2002 et 2003.

[93] Arthur Schnitzler, Mademoiselle Else, trad. Henri Christophe (modifiée), in : Romans et nouvelles II. 1909-1931, Paris, La Pochothèque/Le livre de poche, 1996, p. 486. «  Das ist schon wieder aus einem Roman. Die edle Tochter verkauft sich für den geliebten Vater und hat am End’ noch ein Vergnügen davon. », A.S., Leutnant Gustl. Fräulein Else, Francfort, S. Fischer, 1991, p. 75.

[94] Ibid., p. 502 (trad. modifiée). « Einmal im Monat darf man ihn besuchen. Ich fahre mit Mama hinaus, dritter Klasse. Wir haben ja kein Geld. Keiner leiht uns was. Kleine Wohnung in der Lerchenfelderstraße, so wie die, wo ich die Nähterin besucht habe vor zehn Jahren. Wir bringen ihm etwas zu essen mit. Woher denn? Wir haben ja selber nichts. Onkel Viktor wird uns eine Rente aussetzen. Dreihundert Gulden monatlich. Rudi wird in Holland sein bei Vanderhulst [...] Die Kinder des Sträflings! Roman von Temme in drei Bänden.  », ibid., p. 103 s.

[95] Elle est, aujourd’hui, attestée dans le TLF, à l’article « romanesque », qui en donne la définition suivante : « Roman qui utilise les recettes du roman le plus traditionnel et fait appel à l’imagination, au rêve, au sentiment. »

[96] Voir Alain Montandon, Le Roman au XVIIIe siècle en Europe, Paris, Puf, 1999, p. 61-134.

[97] L’expression romaneske roman que je découvre, en décembre 2005, bien après la première publication de cet article, dans un ouvrage de Peter Demetz, me semble, en allemand, relever du hapax : « Der Erzähler historischer Romane polemisiert gegen den Schreiber romanesker Romane : der romaneske Roman spielt, wo der historische berichtet ». Peter Demetz, Formen des Realismus : Theodor Fontane, Munich, Carl Hanser, 1964, p. 19.

[98] Sur la romance, voir les études classiques de Northrop Frye, Anatomy of criticism, Princeton, Princepton UP. 1957. (Trad. française : Anatomie de la critique, trad. Guy Durand, Paris, Gallimard, 1969) ; idem, The Secular Scripture : A Study of the Structure of Romance, Cambridge, Harvard U.P., 1976. (Trad. française : L’Écriture profane. Essai sur la structure du romanesque, trad. Cornelius Crowley, Paris, Circé, 1998.). Les théories de Frye ont été contestées par Fredric Jameson, The Political Unconscious. Narrative as a Socially Symbolic Act, Ithaca, Cornell U.P., 1981. 

[99] Il s’en explique en tête de son édition : « Il n’existe pas de traduction commode et satisfaisante pour romance, qui est au cœur de ce livre. Romance est clairement exclu en français, pour une raison qui est symptomatique du problème posé : le mot renvoie, aujourd’hui en français, à une chanson sentimentale. Or la notion qu’étudie Frye peut se réaliser à travers le film, le théâtre, la poésie, l’opéra ou d’autres formes lyriques, ainsi qu’à travers les récits en prose. C’est pourquoi tout terme qui serait catégoriquement associé à des contraintes de forme et ou de genre est exclu : la notion de romance, dans le texte de Frye, précède toute détermination, ou réalisation, en une forme. Or la notion de Frye, si elle se réalise souvent à travers la prose, n’y est pas limitée, au contraire. » L’Écriture profane, op. cit., p. 6.

[100] David Lodge, Un tout petit monde, trad. (modifiée) Maurice et Yvonne Couturier, Paris, Rivages (Poches), 1992, p.  464 s. « Romance, in contrast, is not structured in this way. It has not one climax but many, the pleasure of this text comes and comes, and comes again. No sooner is one crisis in the fortunes of the hero averted than a new one presents itself ; no sooner has one mystery been solved than another is raised ; no sooner has one adventure been concluded, than another begins. The narrative questions open and close, open and close, like the contractions of vaginal muscles in intercourse, and this process is in principle endless. The greatest and most characteristic romances are often unfinished – they end only with the author’s exhaustion, as a women’s capacity for orgasm is limited only by her physical stamina. Romance is a multiple orgasm. » Small World. An Academic romance, London, Penguin, 1985, p. 322 s.

[101] Jean-Marie Seillan a publié la réponse de Joris-Karl Huysmans, farouchement opposé aux idées de Prévost et au « roman romanesque  ». Voir Joris-Karl Huysmans, Interviews, textes réunis, présentés et annotés par Jean-Marie Seillan, Paris, Champion, 2002, p. 108-111.

[102] Cité d’après Leopoldo Alas, « La novela novelesca », in : Ensayos y revistas (1892), réédition Barcelone, Lumen, 1991, p. 151-163, ici p. 153. Trad. A.P.

[103] « La historia, según la escribieron los griegos y algunos romanos, y según la escriben los modernos historiadores artistas, es la novela novelesca más admirable », ibid., p. 155.

[104] « las tendencias espirituales y religiosas de la nueva generación literaria », ibid., p. 157.

[105] « ­¿ Qué tiene que ver todo eso con la novela novelesca ? Si la novela novelesca quiere decir nada más un nuevo afán del vulgo [...] si la novela novelesca significa la restauración del disparate picaresco y seudorromántico, nada tiene que ver todo lo anterior con el asunto ; pero en tal caso, tampoco yo quiero perder el tiempo hablando de tales vaciedades. Mas si la novela novelesca significa una protesta nueva de esa juventud literararia, que busca idealidad o poesía, entonces, lejos de haber abandonado en los párrafos anteriores la cuestión, he penetrado en su núcleo. Porque mostrado que existe el nuevo anhelo, la nueva aspiración religiosa y filosófica ¿ hace falta demostrar la legitimidad de una nueva literatura que sea su expresión artística ? Sí, mil veces sí [...] Y es particularmente legítima la forma de la novela que atiende al alma, no por el análisis, sino por su hermosura, por la belleza de sus expansiones nobles, no menos bellas que la formidable lucha de sus pasiones ; es legítima y es oportuna la novela de sentimiento. » ibid, p.  160 s.

[106] « novelistas, poetas, psicólogos sentimentales y piadosos », ibid., p. 163.

[107] Trad. A.P. « Pienso que cada cierto tiempo hay que restaurar el sentido novelístico de la novela. Frente a narraciones como las del nouveau roman, que llegan a un callejón sin salida, hay que retornar una y otra vez a la raíz esencial de la novela. Pues obedece a une necesidad a la vez psicológica y metafísica de la condición humana. » Emir Rodriguez Monegal, El Arte de narrar. Diálogos (1968), Caracas, Monte Avila, 1987, p. 232.

[108] « La constante de toda la novelística, la que va a perdurar, es la constante romántica. La palabra romántico, ya se sabe, viene de roman—novela. Decir que la novela es romántica es como decir que la novela es novelesca. Una especie de tautología. », ibid., p. 233.

[109] « Todos sabemos que Madame Bovary es una especia de Don Quijote de la novela romántica. El auténtico espírito romántico, como efectivamente era un Flaubert, siente por el falso romanticismo de los novelones el mismo asco, la mismo prevención que siente un auténtico espírito religioso por un beato. Entonces se produce esta especie de dialéctica de ascetismo en el caso de Madame Bovary, que es el prototipo, al mi juicio, de una novela novelesca, romántico hasta decir basta, pero escrita con una especie de violencia y de sequedad que está contra la tradición del espíritu lacrimógeno. », ibid., p. 234.

[110] Le roman de Bernardin de Saint-Pierre est en effet cité dans le sixième chapitre de Madame Bovary comme le premier texte à avoir forgé le caractère romanesque du personnage éponyme: «  Elle avait lu Paul et Virginie et elle avait rêvé la maisonnette de bambous, mais surtout l’amitié douce de quelque bon petit frère, qui va chercher pour vous des fruits rouges dans de grands arbres plus hauts que des clochers, ou qui court pieds nus sur le sable, vous apportant un nid d’oiseau. » Madame Bovary, op. cit., p. 36.

[111] « Estas disonancias son las que rompen toda posibilidad de incurrir en la trivialidad romántica », op. cit., p. 234.

[112] « Porque si las novelas novelescas parecen no tener nada que ver con la crítica de la novela, es evidente que la novela crítica tiene de las dos cosas, porque también tiene lo narrativo y eso se nota mucho sobre tudo en las obras más criticas  », ibid., p. 235. Yves Hersant arrivera à une conclusion similaire lorsqu’il note : « Mais le roman [...] garde le romanesque pour matériau ; il le conteste sans l’évacuer ; il ne saurait s’opposer à lui comme l’abstraction à la peinture figurative, ou comme la musique sérielle à l’harmonie de nos grands-pères.  » Yves Hersant, « Le roman contre le romanesque », in : L’Atelier du roman, printemps 1996, p. 145-153, ici p. 149 s.

[113] Trad. A.P. «  No plano construtivo, a analise destaca a combinacao [sic] do texto com as formas consagradas pela tradicao [sic] narrativa, cujo resultado e o romance romanesco. Tal forma busca mesclar o realismo da denuncia social e do empenho politico com os padroes [sic] herdados do antigo romance (ou estoria romanesca), marcados pelo heroismo idealizado e pelo clima de acao [sic] e aventura, caros ao gosto popular. » Eduardo de Assis Duarte, Jorge Amado : romance em tempo de utopia, São Paulo, 1991. [résumé de la thèse de doctorat d’Eduardo de Assis Duarte], in : Site Dedalus (USP) [en ligne] http://sibicce.usp.br:4500/ ALEPH/POR/FFL/FFL/TESFFL/FIND-ACC/0256601. Page consultée le 26 mars 2003.

[114] Voir Alfredo Bosi, História concisa da literatura brasileira, São Paulo, Cultrix, 1987, p. 457 s.

[115] Trad. A.P. « impressione [...] dovuta anche al fatto che, spesso, il romanzo italiano e’ stato letto, apprezzato, divulgato, piu’ per esaltarne le qualita’ stilistiche che per metterne in evidenza le trame avventurose e il fascino del racconto. » Site de omero.it [en ligne], http://www.omero.it/dieciromanzi.htm. Page consultée le 28 juin 2003.

L’expression « romanzi romanzeschi » se rencontre déjà chez d’Alberto Moravia  qui fait dire au narrateur de L’attenzione: « Et le fait qu’on écrive des romans romanesques à côté d’autres où il n’arrive rien, cela veut dire, au fond, qu’aussi dans la réalité vécue, à côté du défaut d’événements, il y a la surabondance des événements mêmes. / E che se si scrivono romanzi romanzeschi accanto ad altri in cui non avviene niente, questo vuol dire, in fundo, che anche nella realtà vissuta, accanto alla mancanza di eventi, c’è la sovvrabbondanza degli eventi stessi. », Alberto Moravia, L’attenzione, Bompiani, 1965, p. 336.

[116] Robert Brasillach, Pierre Corneille, Paris, Arthème Fayard, 1938, p. 124.

[117] Voir ibid., p. 127 ss.

[118] Ibid., p. 129.

[119] Ibid., p. 143.

[120] Ibid., p. 142.

[121] Ibid., p. 126.

[122] J’adhère à l’observation de Georges Benrekassa qui me fait remarquer que l’appréciation du romanesque est liée au procès que l’extrême droite française intente, au début du XXe siècle, au romantisme qu’elle considère comme pathologique.

Comment revendiquer certaines valeurs « chevaleresques » du romantisme tout en rejetant ses aspirations à la fois sociales, religieuses et messianiques ? En les réinjectant dans le terme qui le précède historiquement et dont il demeure proche.

[123] Ibid., pp. 165, 398, 165, 222, 346, 468.

[124] Ibid., p. 114.

[125] Ibid., p. 123.

[126] Ibid., p. 164.

[127] Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », trad. M. de Gandillac revue par Rainer Rochlitz, in : Œuvres III, Paris, Gallimard (folio essais), 2000, p. 316.

[128] Trad. A.P. « L’idea popolare del romanzo continua a essere quella di mille o di diecimila anni fa. Un romanzo non deve raccontare i casi ordinari della vita, sennò, che interesse ha? Solo i casi fuori del comune hanno interesse: “romanzesco”è sinonimo appunto di eccezionale, di straordinario, di inverosimile. Frasi come “quando la vita è romanzo”, “la realtà a volte è più romanzesca dei romanzi”, fanno la spia di questa mentalità inveterata.[...] Il romanzo si è evoluto nella misura in cui si è sbarazzato del romanzesco », Carlo Cassola / Mario Luzi, Poesia e romanzo, Milan, Rizzoli, 1973, p. 83.

[129] « Il romanzo d’appendice, il romanzo rosa, il “giallo”, il “thrilling”, sono stati confezionati con gli stessi trucchi che servivano all’antico novellatore per tener desta l’attenzione dei suoi ascoltatori o dei suoi lettori, per farli stare a bocca aperta, per sbalordirli, per spaventarli, per suscitare il pianto e il riso », ibid., p. 83.

[130] C’est le titre du chapitre 4 : « Il romanzo como creazione originale del mondo moderno », ibid., p. 82.

[131] Voir ibid., p. 97.

[132] « Che nel romanzo moderne il romanzesco sia superfluo, è dimostrato dalla sua seconda caratteristica : cioè dal suo volgersi a preferenza verso le persone communi e i casi ordinari della vita. », ibid., p. 99.

[133] Voir Rodolfo Macchioni Jodi, Carlo Cassola, Florence, La nuova Italia, 1982, p. 192 ss.

[134] Trad. A.P. « il romanziere teso verso la contemplazione mistica della realtà è anche una specie di Orazio o di Boileau moderno », Pietro Citati, « Cassola e il romanzo . L’addormentato si sveglierà », in : Il Giorno, 2 septembre 1970, p. 7. Je remercie Véronique Mérieux (Nice), Antonio Capalbi (Nice) et Cesare M. De Lorenzi (Milan) qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour me faire parvenir une copie de l’article de Citati, introuvable en France.

[135] « Ma l’arsenale di trovate e di colpi di scena, che una volta mirava sopratutto ad avvincere il grande pubblico, ora è il luogo dove si manifestano le più sottili intenzioni compositive: il punto privilegiato dove si cela la rete di simboli, rigorosa come un edificio metafisico e impalpabile como una fluida corrente soterranea, che sorrege il romanzo », ibid.

[136] « “motivi” poetici, che si insinuano tra i personaggi, si intrecciano tra i paesaggi e le avventure e danno loro uno sfondo tanto lucido che infinitamente variegato », ibid.

[137] « il grande corpo addormentato del romanzo – questo corpo dalle mille braccia, dai piedi che affondano nelle caverne e dal capo che si perde tra le più pure e remote costellazioni  », ibid.

[138] « un genio [...] dotado insieme di una prepotente immaginazione filosofica e di una rigogliosa fantasia metaforica  », ibid.

[139] Voir Italo Calvino, « Le roman comme spectacle  », repris in : La Machine littérature, trad. Michel Orcel et François Wahl, Paris, Seuil, 1984, p. 153-156.

[140] Ibid., p. 155. « La poetica dell’ineffabilità dell’esistenza è e resterà legata a esperienze individuali rare, a particolari congiunturi storiche. Cassola dice che ha trionfato; non si rende conto che questo trionfo è una sconfita? Cosa può voler dire questo trionfo, oggi? Romanzi sbiaditi come l’acqua della rigovernatura dei piatti, in cui nuaota l’unto di sentimenti ricucinati.», Italo Calvino, « Il romanzo como spettacolo », in: Saggi 1945-1985, éd. Mario Barenghi, t.1, Milan, Mondadori, 1995, p. 271.

[141] Ibid. « riabilitazione del “romanzesco” e a scommettere in una sua futura reincarnazione», ibid.

[142] Ibid., p. 156. « costruire romanzi “artificali”, nati in laboratorio» ; « le regole del gioco “ romanzesco”», ibid., ibid. p. 272.

[143] « Il mio intento era di dare l’essenza del romanzesco concentrandola in dieci inizi di romanzi, che sviluppano nei modi più diversi un nucleo comune », cité d’après Salvatore Battaglia, Grande Dizionario della lingua italiana, vol. XVII, Turin, 1988, p. 44.

[144] Trad. A.P. « 1) L’oggetto della lettura che è al centro del mio libro non è tanto “il letterario” quanto “il romanzesco”, cioè una procedura letteraria determinata – propria della narrativa popolare e di consumo ma variamente adottata dalla letteratura colta – che si basa in primo luogo sulla capacità di costringere l’attenzione su un intreccio nella continua attesa di quel che sta per avvenire.  » Italo Calvino, « Caro Angelo Guglielmi… », in : Romanzi e racconti, éd. Claudio Milanini, Mario Barenghi et Bruno Falcetto, vol.2, Milan, Mondadori, 1992, p. 1390.

[145] Je reprends, en la modifiant, une formule de Gilles Declercq et Michel Murat.

[146] « Dans le processus d’adaptation, Fielding réussit cette chose remarquable: il forge une nouvelle façon d’écrire, donc un nouveau type de conscience, quelque chose qui sera considéré rétrospectivement comme un paradigme du romanesque. / In the process of adaptation Fielding achieves the remarkable: he forges a new way of writing, and thus a new kind of consciousness, something which will retrospectively be seen as a paradigm of the novelesque. » http://www.uea.ac.uk/eas/People/clark/Fielding.htm [en ligne] page consultée le 16 mars 2003. Le Oxford English Dictionnary (2e éd., vol.X, p. 565) ne connaît que l’adjectif.

[147] On peut signaler l’occurrence suivante. Dans un article sur la critique littéraire paru dans la Neue Zürcher Zeitung, Hanno Helbing évoque le compte-rendu que Max Rychner avait consacré, en 1947, au Docteur Faustus : « Ce qu’on ne remarqua pas à l’époque  : que le romanesque du roman ne fut pratiquement pas évoqué. Was damals nicht auffiel: dass das Romanhafte an dem Roman kaum zur Sprache kam.», Hanno Helbing, « Schreibetag mit Hintergrund », NZZ, 6 juillet 2001, http://www.nzz.ch [en ligne]. Page consultée le 16 mars 2003.

[148] «  Il me semble qu’un lien profond existe entre le romanesque et ce que les psychanalystes nomment fantasme » observe Bernard Pingaud (L’Expérience romanesque, op. cit. p. 23), il est vrai dans une perspective différente. « L’imaginaire moderne, pictural et musical, est un imaginaire romanesque : sinon, il s’annule comme tel. » écrit, de son côté, Julia Kristeva, Le Temps sensible (1994), Paris, Gallimard (folio), 2000, p. 553

[149] Voir Alejo Carpentier, Ensayos (= Obras Completas, vol. 13), Mexico, Siglo veintiuno, 1990, p. 213 ss.

 

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